Le 27 Avril 2013, cela faisait donc 3 ans jour pour jour que l’ancien ministre togolais Ephrem Seith Dorkenoo est passé de vie à trépas. Son ancien collaborateur Kodzo Adzewoda Vondoly a senti le besoin de lui rendre un hommage avec sa plume. Lecture

Devoir de mémoire d’un ancien Assistant pour son ancien patron

Je suis très peiné de me rappeler en ce jour, d’une catastrophe au moment où mes compatriotes jubilent pour une bonne cause. J’aurais pu faire un grand effort pour me rendre à Lomé II pour couvrir les festivités marquant les 53 ans de l’indépendance de mon pays (en tant que journaliste). Mais je suis retenu par un grand devoir à accomplir envers ma conscience et en même temps envers la mémoire de celui-là que j’ai connu et côtoyé durant plus de quatre années : Ephrem Seth DORKENOO, décédé le 27 avril 2010. Même s’il m’est difficile de décrire avec exactitude les derniers instants de ce brave et laborieux travailleur qui a servi le Togo pendant des années, je peux au moins aligner quelques mots comme toujours, pour dire ce qu’il était. Mais avant d’en arriver là, je vais me battre pour partager avec mes compatriotes qui accepteront de lire mon devoir de mémoire, ce que j’appelle aujourd’hui « La fin d’une époque, le début d’une grande épreuve pour la culture togolaise ».

En effet, très tôt dans la matinée du mardi 27 avril 2010, la plupart des Togolais se bousculaient sur le Boulevard Jean-Paul II, aux fins de se rendre au stade de Kégué où allaient se dérouler les manifestations officielles marquant les 50 ans de l’accession de leur pays à la souveraineté internationale. En ce moment, Ephrem Seth DORKENOO passait la vie à trépas sur la route d’Afangnan où il était en train d’être évacué d’urgence par sa famille, après avoir fait quelques semaines à la Clinique Saint Joseph de Hédzranawoé suite à un accident de circulation.

J’étais en circulation ce matin de 27 avril 2010, lorsque mon téléphone a sonné, bizarrement, non loin de la station Total de Saint Joseph sur le Boulevard Jean-Paul II, qui fait face à la maison familiale des DORKENOO. A l’autre bout du fil, Moïse INANDJO, écrivain, Attaché de Cabinet du Ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale, Censeur au Lycée Anna-Maria à Lomé, qui, sans même me dire bonjour, m’interroge : « Adzewoda, -comme il aimait m’appeler pour imiter Ephrem DORKENOO-, tu as appris la nouvelle ? » Très étonné de sa manière étrange de me parler, j’ai supplié le conducteur du taxi pour qu’il s’arrête afin de mieux écouter mon ami. « Quelle nouvelle ? », lui demandai-je, sans gêne. « Monsieur DORKENOO est mort ! », m’a-t-il dit finalement après des sanglots que je pouvais déjà décrire malgré qu’il n’était pas en face de moi. « Quoi ? D’où détiens-tu cette information ? Il est à l’hôpital je sais ! Qui te l’a annoncé ? ». Le reste n’est vraiment pas facile à raconter. N’étant pas convaincu par l’annonce de Moïse INANDJO, je composai immédiatement le numéro de Madame Nathalie DORKENOO, la femme de l’ancien Ministre. Je ne lui ai pas demandé si son mari était mort, mais si sa santé s’est un peu améliorée à l’hôpital. « Adzewoda, Papa n’est plus ! Il est décédé depuis ce matin ! », me dit-elle avec une voix mélancolique. J’ai eu la chair de poule. Je continue ma route sans plus savoir où j’allais. J’étais dans un tourment total.

Le soir du même jour, après des coups de fil de gauche à droite pour annoncer à mon tour la nouvelle à certaines personnalités et amis de Seth DORKENOO, tant au Togo qu’à l’extérieur, j’ai eu à rassembler quelques acteurs culturels habitués de l’illustre défunt, autour de l’ancien Premier Ministre Joseph Kokou KOFFIGOH qui revenait juste des festivités au stade de Kégué. Nous avions formé une délégation composée en majorité par les anciens collaborateurs d’Ephrem DORKENOO dont moi-même. Clémentine Titia ALAVO, artiste comédienne, poétesse, Joël NIKPE, poète, Professeur de lettres, Moïse INANDJO, écrivain, Marius AKOUMANY, Vice-président de l’Union des Jeunes Volontaires pour la promotion de la Culture (UJVC). La délégation avec en tête, Me KOFFIGOH, s’est rendue successivement dans deux maisons familiales DORKENOO à Tokoin-Nukafu pour la signature du cahier de doléances. Ce qui fut fait dans un total recueillement. Nous venions d’apposer nos signatures dans un cahier ouvert à cet effet, pour la mémoire d’un Togolais que je vais vous présenter en quelques lignes.

 QUI EST EPHREM SETH DORKENOO ?

En effet, le jeune Koffi Ephrem Seth DOKENOO a vu le jour un 18 juin 1948 à Lomé. Il commença ses études primaires à Lomé et les termina à Kpalimé dans la préfecture de Kloto, à 110 kilomètres de Lomé. Il obtint son CEPE puis retourne à Lomé pour les études secondaires et supérieures entre Lomé et Abidjan en Côte d’Ivoire d’où il partit pour la France, plus précisément à Toulouse. Là, il décroche sa Maîtrise en Mathématiques et son Doctorat en Informatique. Le jeune devient un expert en matière d’informatique, talent qu’il fait révéler au Togo avec la création de l’entreprise Heuristiques Consulting puis de CREA INFORMATIQUE. De ses mains, sont sortis plusieurs informaticiens aujourd’hui à la tête des entreprises de gestion informatiques et Internet à Lomé.

Sa maîtrise de l’outil informatique ainsi que des mécanismes liés à ses consommables, Ephrem Seth DORKENOO fut le représentant de la société EPSON au Togo.

Toujours reconnu comme l’un des premiers informaticiens chevronnés revenus de l’Europe, Ephrem Seth DORKENOO est nommé Directeur Général du Centre National d’Etude et de Traitement Informatique (CENETI) avant de devenir Directeur Commercial de la société pétrolière SHELL au Togo.

Il sera appelé plus tard pour être le Directeur des Services Informatiques de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) où il a passé six (6) bonnes années.

Ephrem Seth DORKENOO est aussi fervent militant, Secrétaire Général de la Convention des Forces Nouvelles (FCN) de Me Joseph Kokou KOFFIGOH. Le génie de l’informatique sera appelé successivement dans le gouvernement d’Edem KODJO en 1995 en tant que Ministre des Droits de l’Homme et de la Réhabilitation puis Garde des Sceaux, Ministre de la Justice dans le gouvernement de Kwassi KLUTSE de 1996 à 1998.

Dès l’année 1998, l’homme est revenu dans la phase initiale de ses rêves, pour devenir Expert en Informatique, puis acteur socioculturel d’où il donna naissance au Réseau en Action pour le Développement Intégral (RADI-TOGO). En 2000, Ephrem Seth DORKENOO fut obligé de changer la dénomination de son association, suite à un litige qui l’opposait à un autre compatriote qui se réclamait aussi de la même dénomination. Pour couper court, le Général Akiwilou Sizing WALLA, alors Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, dont le département a en charge l’autorisation de création d’associations et d’ONGs, délivra à son ancien collègue, un nouveau récépissé cette fois-ci avec « Cités de Paix », une Association pour la Culture et le Développement qu’il présida jusqu’à son dernier souffle.

En 2002, Ephrem Seth DORKENOO va entrer de plein pied dans la littérature, non seulement en tant qu’auteur mais aussi et surtout en tant qu’acteur et promoteur. Car certainement, il doit porter en lui, les nostalgies de la publication de son premier recueil de poèmes « Sang d’escargot » paru aux Nouvelles Editions Africaine du Togo (NEA/TOGO) lorsqu’il était encore Garde des Sceaux, Ministre de la Justice en 1997. C’est alors qu’il fonda Les Editions de la Rose Bleue.

Avec sa maison d’édition, cet ancien ministre a beaucoup contribué à la promotion de la culture et de la littérature en initiant divers concours nationaux, outre la publication des œuvres littéraires dont les auteurs étaient fiers de la qualité du travail technique.

En 2005, j’ai accompagné et vu Ephrem Seth DORKENOO à l’œuvre pour la création de la Rencontre Internationale des Créateurs En Poésie (RICEP) dont la toute première édition se tiendra du 4 au 11 novembre 2006 à Lomé avec comme pays Invité d’Honneur, le Bénin.

Ce festival, je puis dire que mon ancien patron l’avait conçu pour durer dans le temps. Mais déjà en 2007, à la deuxième édition, il lui fut impossible d’être présent à toutes les manifestations inscrites au programme, car il passera presque trois (3) mois à la Clinique Le CŒUR après une crise cardiaque survenue le lundi 18 juin, date à laquelle il fêtait le 59ème anniversaire de sa naissance. Ce n’est pas le lieu de dire les circonstances dans lesquelles il avait piqué la crise, car détaillées dans un roman intitulé « Ephrem Seth DORKENOO, une vie, un paradoxe » en cours de finition.

Devenu impotent, Ephrem Seth DORKENOO ne pouvait plus rien. Etant avec lui, j’étais obligé d’être au four et au moulin, juste pour que la deuxième édition de la RICEP puisse avoir un succès. J’ai fait le lancement officiel au Goethe-Institut de Lomé le 3 août 2007, lancement au cours duquel je fis lire un discours qu’il m’avait fait rédiger sur le lit de l’hôpital, malgré les interdictions et privations à lui imposées par les médecins, à cause de son état un peu critique en ce moment.

Après le lancement officiel où j’ai présenté la délégation béninoise devant représenter leur pays à la RICEP, je suis devenu le seul collaborateur, partagé entre le bureau et la clinique sans oublier les organismes internationaux partenaires de l’événement.

J’ai un peu divagué dans cette partie de mon devoir de mémoire. Mais je sais que mes lecteurs me le pardonneront.

De son expertise aux Editions de la Rose Bleue, plusieurs œuvres sont sorties, entre autres, « Trophée de cristal » de Jeannette AHONSOU, Professeure d’anglais à la retraite, « Envolées de graines », anthologie issue d’un concours de nouvelles qu’il a organisé pour al première fois en 2004 et dont les prix ont été décernés aux lauréats en 2005 au Centre Culturel Français (CCF) de Lomé, « Refonder la démocratie au Niger » de Issifou Mahamat, alors Président de l’Assemblée nationale du Niger, « L’enfant, le griot et les danseurs » de Catherine LAVERDANT de nationalité française, « Togo, mon cœur saigne » de feu Paul AHYI, « La souche immortelle » de feu Céphas Ifoulè KEOULA, Directeur du centre des formalités des entreprises à la Chambre de Commerce et d’Industrie du Togo (CCIT), « Les Etoiles d’Outre-Ciel », anthologie de poèmes de 30 auteurs togolais, « Ministre avec EYADEMA » de Charles Madjome Kondi AGBA, Ministre de la Santé, « Le désert et l’océan » de Docteur Jémima FIADJOE-PRINCE AGBODJAN, « Prostituée…ma sœur » de Moïse Olouwadara INANDJO, « La philosophie de la vie à travers les noms chez les Nawdba du Togo » de Rigobert Koudoulma M’GBOOUNA, ancien député, enseignant à l’Université de Lomé, « Rêves éclos » de Gaby ENAM, « Impressions d’Ethiopie » de Pascal Arfa WASUNGU, enseignant à l’Université de Lomé, « L’exceptionnel destin de Joseph Kankua Itoka » de Rigobert K. M’GBOOUNA et de Pascal A. WASNGU…

Les auteurs dont les œuvres sont restées inédites jusqu’à ce jour, sont innombrables et ce, pour des raisons diverses les unes que les autres.

Auteur écrivain lui-même, Ephrem Seth DORKENOO a publié au total trois (3) recueils de poèmes : « Sang d’escargot » NEA/TOGO en 1997, « Sitou » coédité par les Editions de la Rose Bleue et les Editions Eburnie (Côte d’Ivoire) et « Adviendra » paru aux Editions des Diasporas au Bénin en 2009. Il avait 62 ans à sa disparition, laissant derrière lui, une panoplie de projets irréalisés et une famille de 6 enfants dont les deux premiers, Camille et Paul Elom sont déjà fonctionnaires en France à Toulouse, ville natale de leur mère, enseignante d’Allemand au Lycée Français de Lomé, décédée très tôt lors d’un précédent accident avec Ephrem DORKENOO au niveau du monument aux morts (martyrs) en face du Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération.

Voici très brièvement fait, le devoir dont j’ai personnellement la charge en mémoire d’Ephrem Seth DORKENOO que j’ai quitté en février 2009, presque un an avant sa disparition.

Je passe par ici pour sécher une fois encore les larmes à sa famille, particulièrement à sa fille benjamine Marie-Nicaise DORKENOO qui fêtera bientôt ses dix ans de naissance sans avoir son père à ses côtés.

A toutes celles et à tous ceux à qui sa disparition a causé ou causera des préjudices pour diverses raisons, je tiens sincèrement à les encourager afin qu’ils puissent supporter ces moments plus que douloureux tout en priant pour le repos de son âme.

Fait à Lomé, le 27 avril 2013

 Kodzo Adzewoda VONDOLY

 Ancien Assistant d’Ephrem Seth DORKENOO (2005-2009)

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