Le journaliste écrivain Béni Sylvestre tape encore plus fort. Après « L’erreur fatale », il accouche un nouveau bébé à son actif « Je proteste ». celui qui se réclame s’inspirer souvent de l’ex-président du Faso Thomas Sankara fait partie de ceux qui pensent que l’Afrique a besoin d’une thérapie de choc afin que cette jeunesse qu’ils qualifie de « sacrifiée » puisse « voir le bout du tunnel ». Il s’est confié à la rédaction d’Africa rendez-vous. Lecture…

Bonjour … Vous avez de sortir votre dernière œuvre « Je proteste », et vous parlez d’un certain engagement. En clair, que voulez-vous dire ?

(Rires), Vous savez, mon père spirituel, le capitaine Thomas Sankara disait je le cite, « l’esclave mérite ses chaînes. L’esclave qui ne lutte pas, qui ne prend pas d’engagement, ne peut pas se débarrasser de ses chaînes. Il reste esclave quels que soient les discours moralistes de son maître ». Et aujourd’hui encore, l’oppresseur se croit toujours maître pour la simple raison que l’opprimé se plait et se complait dans la lâcheté. Croyez-vous un seul instant que nous serons là aujourd’hui à nous définir, nous faire valoir d’une quelconque identité africaine si Sylvanus Olympio était un timoré, Kwame N’krumah, pleutre, Nelson Mandela, poltron ou encore Martin Luther King, froussard ? Pas sûr et, nous serons peut-être nombreux dans les plantations de misère de Jean-Marie Le Pen en attendant le virus d’Ebola qu’il enverrait pour réduire le nombre. Non, c’est triste ! Les acteurs des révolutions indépendantistes des peuples africains et peuples noirs de par le monde ne sont pas des hommes valeureux pour que nous soyons des lâches.

La liberté ne se donne pas, elle s’arrache. Il est temps que nous coupions nous-même notre cordon ombilical qui nous maintient encore dans la peur et dans la passivité pour s’émanciper des dictatures africaines, et l’hallucination faite de leur fatalité.

C’est pour parvenir à cet objectif que je prends l’engagement à travers cet ouvrage, « Je proteste », d’être le fer de lance d’une jeunesse africaine assise, contrainte de s’asseoir et faire comprendre aux opprimés de tous les pays qu’ils doivent s’indigner car ils ne méritent pas leurs chaînes. Ils doivent rester mobilisés. Certes la lutte sera longue. Mais la lutte populaire est invincible.

 Vous insistez que l’avenir de la jeunesse africaine est sacrifié

 Vous savez, nos États ne nous rassurent pas. Ils sont des milliers et des milliers de jeunes africains répandus à travers le monde fuyant les atrocités au Togo, la guerre au Congo, ou la misère au Burkina Faso. Le cours de leur vie à jamais modifié. À la recherche d’une vie moins indigente en occident parce que, spoliés de leurs richesses et ressources naturelles et désespérés, ils prennent la mer aller chercher l’or et le trésor dans l’Eldorado, et sinistrement, vont s’offrir à la mort dans les flots. Pendant ce temps, le bal et le ballet des nouveaux riches des régimes vils et exécrables continue de plus belle dans la cité. Des chefs d’État insoucieux du bien-être social des peuples qu’ils gouvernent et qui pis, avec leurs collabos, enchaînent sans pudeur nos destins sur l’autel des paradis fiscaux et crimes économiques.

Aujourd’hui, en Afrique, payer du paracétamol dans une pharmacie est un luxe, or, les médicaments de la rue tuent. L’individu qui sort d’une pharmacie est considéré comme provenant d’une certaine classe sociale.

Où allons-nous ? Et la faute est à ces despotes aux pieds d’argile louangés par nos armées africaines, des généraux et officiers supérieurs cornichons, corruptibles et corrompus. Il faut maintenant que cela cesse. Opprimés de tous les pays, indignez-vous !

 Qu’est-ce qui vous fait dire dans cet ouvrage que le destin des africains est vraiment enchainé?

 Je prends l’exemple de mon pays, le Togo et je vais vous faire toucher du doigt la réalité à travers l’histoire de mon enfance. J’étais dans les années 80 au cours primaire, mes parents se plaignaient déjà de leurs conditions de vie qui souvent ont des influences sur mes études. Mes fréquentes sollicitations pour me procurer des matériels didactiques recevaient comme réponses : il n’y a pas assez d’argents pour tout ce que tu demandes quand bien même que c’est nécessaire. Ce n’était pas de leurs fautes. Ils se battaient pour moi. A travers vous, je les rends hommage. Je suis rentré au collège et au lycée dans les années 90. Le message devint difficile. Il n’y a pas d’argents. Ce n’est plus « pas assez » mais « pas » tout court. Débrouille-toi chez tes camarades. Je rentre à l’université, « and It became worst » comme le dirait l’anglophone en parlant du pire. « Aujourd’hui, on n’a pas un rond, pas un seul ». Cela veut simplement dire que nous allons à reculons. Et en face de cette situation, vous voyez-vous le bout du tunnel ? Non, tant que ces félons françafricains seront au pouvoir, l’Afrique n’avancera pas. L’Afrique doit sombrer dans un nouveau chaos pour renaître plus fort.

Dans cette œuvre vous êtes revenus sur la dictature des chefs d’états africains. Aujourd’hui peut-on encore parler de dictature en Afrique ?

Je vous repose autrement la question même si c’est vous qui posez les questions : Croyez-vous que nous avons une démocratie en Afrique ? L’homme politique togolais Kofi Yamgnane dans son récent ouvrage tranchait : L’introuvable démocratie en Afrique. Oui, il a raison même si on peut nuancer un peu les choses. Aujourd’hui quand on parle de démocratie en Afrique, on cite le Ghana. Normal, il y a une stabilité politique. Mais ce que vous devez aussi savoir est que dans une démocratie, l’intérêt supérieur de la nation doit primer sur les petites querelles politiques et des intérêts partisans. L’économie ghanéenne est actuellement au creux de la vague. Mais le gouvernement a refusé les aides du FMI pour se relancer. Une mesure que je salue. Le parti au pouvoir le National Democratic Congress (NDC) a organisé un forum économique le mois dernier impliquant tous les acteurs pour réfléchir sur le comment sortir de la situation. Mais la principale force d’opposition du pays, les membres du New Patriotic Party (NPP) ont refusé de prendre part aux assises nationales arguant qu’ils ne veulent pas être comptables des erreurs du NDC. Croyez-vous que c’est cela la marque d’une démocratie ? L’économie, est une question qui concerne tout le peuple. Ce qu’ils oublient, est que tant le NDC multipliera ses erreurs mais fera 4 ou 8 ans au pouvoir, il y aura beaucoup d’ardoises, des gouffres insondables et une fois le NPP au pouvoir, il passera sa vie à vouloir boucher ces trous par des ajustements structurels risqués et provoquer le courroux du peuple dans d’autres domaines. Aux États-Unis par exemple, tout ce qui concerne la vie de la nation, est discuté entre les Républicains et les Démocrates. Prenons de bons exemples.

Vous semblez connaitre les voies et moyens pouvant permettre de lutter contre ce que vous appelez « dictature des chefs d’Etats africains ».

Béni Sylvestre_ouvrage_je ProtesteC’est simple. On ne discute pas avec une dictature qu’elle soit « sourd-muet » ou « aveugle-malentendant », il faut la contraindre à partir, car elle restera dans sa logique de maintenir le pouvoir à travers des voies de fait.

Le « printemps arabe » a déjà montré l’exemple. Il faut la Révolution.

Cette action, en raison de son caractère sacré, ne doit être perçue par le peuple opprimé et assoiffé de libertés comme l’imprudence ou l’impudence des esprits belliqueux. Non, ce serait une grave erreur, car toute révolution est par essence la voie de la libération nationale, la voie de la justice qui dit non à l’injustice, la voie d’instinct profond du progrès qui tranche avec les actions stériles d’un gouvernement d’incapables et bande de truands qui naviguent à vue et enfin, la voie des hommes lucides qui mettent fin à l’assujettissement d’un peuple par les satrapes et semeurs de merdes. Par extension, la révolution est la propension commune des peuples qui définissent de nouvelles directions pour le bonheur de la masse. Par conséquent, aucune nation opprimée soit-elle partout sur la terre n’est devenue transformable et transformée sans cette noble et divine action qui est, en définitive, la démarche responsable des esprits bien bâtis. Puisqu’ils auraient compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice mais il fallait donner sa vie pour bien la combattre afin d’être libérés et heureux. En face d’une dictature, l’on ne passe pas sa vie à conjuguer des verbes. Ce temps est révolu. Maintenant place à l’action.

Vous dites que l’Afrique est la terre de misère, et pourtant les experts en économie ne sont du même avis.

D’abord qui désignez-vous par des experts en économie ? Ces « gromologues » admis dans nos administrations ou ces « mercenaire au col blanc » qui créent des formules diverses pour faire dormir les peuples et louent les dictatures ? Ceux-là qui se targuent de titres ronflants, comme des Assistants techniques alors qu’ils sont des « Assassins techniques » pour reprendre Thomas Sankara ? Accordons le bénéfice du doute.

L’Afrique amorce une croissance. « And so what, or what again ? ». Où est le résultat tangible au sein de nos populations ?

Lorsqu’au 21e siècle, on peut encore mourir du paludisme, où se trouve le fruit de la croissance ? Dans les poches de la minorité qui s’accapare et dilapide les biens de la nation ? Vous savez, si le ridicule tuait, il n’y aurait plus de places au séjour des morts. Qu’on cesse de nous fatiguer avec ces discours d’un autre âge que l’Afrique amorce une croissance. Nous voudrions bien croire, mais montrez-nous d’abord les fruits de votre « croissance ».

Alors comment les africains doivent se comporter pour se libérer du joug dont vous faites référence ?

Toutes les fois que nous manquerons de nous imposer par paresse, peur ou par lâcheté, nous demeurerons esclaves des méchants et : L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère.

 Je vous remercie

 C’est moi…

Interview réalisée par Maurice Agbossou

Voltic Togo