Le jour se lève bien timidement sur Sokodé, en plein centre du Togo, environ 350 km de la capitale. Cette deuxième grande ville du pays, devenue en quelques jours, « ville fantôme » au lendemain des rafles militaires, semble renaître. Les bruits d’échappement des taxis qui font régulièrement le va-et-vient sur la route nationale numéro 1 ont cédé leur place à ceux de pick-up militaires qui y vont à une allure modérée chaque demi-heure.

Dimanche 22 Octobre 2017, les femmes sont décidées à aller chercher leur pitance journalière au marché central. Des traces de pneus brûlés sont encore perceptibles à plusieurs endroits de la chaussée. A quelques rares points sont assis, un groupe de 4 voire 7 militaires qui discutent entre eux.  Deux voitures garées à l’intérieur d’un bâtiment dont les murs peints par endroit par des flammes, laissent difficilement lire la marque Toyota qui ont visiblement souffert le martyr du feu. Selon les autochtones, le bâtiment abritait le siège de Togo Telecom, l’opérateur de téléphonie mobile et l’espace Telecom.

Le bâtiment administratif mis à feu_ Photo Sylvio Combey

La ville qui a laissé des plumes depuis les manifestations du 19 Août 2017 avec au moins 4 morts et un lot de blessés, semble renaître de la douleur.

Vers la renaissance…

 « On nous a dit qu’on peut sortir faire nos différentes activités, que c’est calme maintenant », rapporte dame Zoubeira, toute hésitante, entourée de quelques jeunes badauds au marché central. Tables rangées contre le mur, elle a préféré renverser juste un panier pour dresser son étalage de fortune et vendre les condiments de cuisine. Ceci, dit-elle, pour pouvoir fuir rapidement au cas où les coups de feu reprenaient.

C’est la première fois que le grand marché de Sokodé, au quartier Zongo, renait depuis le soir du 16 Octobre 2017 où l’un des célèbres Imam de la ville, Alpha Assan Molah a été arrêté à son domicile par des forces de l’ordre pour avoir dit-on, appelé dans ses prêches à la révolte.

Un peu comme dame Zoubeira, la dizaine d’autres femmes venues animer ce pourtant célèbre grand marché de Sokodé, n’ont érigé que des étalages de fortune, la peur dans le ventre. A 9h, l’affluence est encore très timide dans une ville qui panse ses blessures.

A moins de 3 km plus loin, au quartier Didaouré, dans un angle, sous un hangar, quelques enfants s’y affolent. Une grosse marmite noire est posée sur une table. La bonne dame vend du riz.

« Ils ont cassé nos ateliers et nos maisons, ils ont tout cassé. On ne mange pas, les enfants là (les pointant du doigt) ont faim. On n’est sorti aujourd’hui à cause de la faim. Toute la population de Sokodé est fatiguée, les garçons ne sont pas à la maison. On a peur. Jusqu’à présent on n’est pas à l’aise », se précipite de raconter à notre micro Adziah, la revendeuse, dans un français approximatif, tête couverte de foulard.

« Ça fait 6 jours que nous n’avons rien mangé. Nous n’avons pu tenir que grâce à du gari qui étaient heureusement restés et un bol de riz », nous lance une autre, avec un long cure-dent serré dans le coin gauche, trainant avec un garçonnet, pieds nus.

Des enfants pour se procurer à manger _ Sokodé_ Photo Sylvio Combey

Silence Radio

Impossible de pouvoir s’informer via les médias en l’occurrence les radios. C’est le silence total sur toutes les six radios qui émettent sur la ville. Les émetteurs étaient au repos, le personnel des différentes stations, tout comme des jeunes de la ville ont dû eux aussi quitter leur maison. Seuls quelques téméraires ou encore qui ne savaient pas où aller sont restés terrés chez eux. C’est le cas de Salif Ledoux, journaliste sur radio Tchaoudjo et correspondant local du quotidien privé Liberté.

« Le promoteur nous a dit que nous ne sommes pas en sécurité », confie Salif et d’ajouter « On ne te demande pas qui tu es et on te frappe. C’est du genre, on frappe sur tout ce qui bouge ».

Un peu comme Salif, les journalistes ou animateurs des autres radios commerciales en l’occurrence, Venus, Méridien, Centrale Fm, et même des deux confessionnelles Albarka et Sainte Thérèse, n’osaient humer l’air « frais » de dehors et prétendre aller ouvrir l’antenne.

Et si les radios ne fonctionnaient pas, ce n’est pas non plus les écoles qui en faisaient exception. Même des centres de santé privés ont dû fermer.

La situation aura duré plus de deux semaines pendant que se déroulait une répression silencieuse.

La répression silencieuse

« On a fait couvre-feu mais, on nous tapait bien. Mon petit frère est décédé des suites des blessures, c’est hier qu’on l’a enterré », tonne amèrement Hamdiya, la trentaine.

Cette situation, nombreux sont ceux qui l’ont vécu, la peur au ventre, meurtris, blessés dans leur amour propre et décidé à quitter leur pays à la recherche d’un mieux-être.

La police qui encadrait les manifestations publiques à l’appel du Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam, a été remplacée par des militaires. Et c’est quelques-uns d’entre eux qui, au soir du 16 Octobre 2017 ont arrêté l’Imam Alpha Assan Molah mettant le feu aux poudres dans la localité.

Depuis lors, les maisons sont fouillées et passées au peigne fin, tous les jeunes et hommes adultes sont systématiquement passés au tabac. « S’ils viennent et qu’ils ne trouvent aucun homme, ils nous frappent nous autres nous disant que c’est nos maris qui veulent mettre le pays en feu », confie une autre dame, la quarantaine, qui s’est refusé de nous décliner son identité.

Ismaël Traoré Kassa dit en garder les séquelles. Allongé à même le sol, à côté de son lit, avec juste un pagne noué à la hanche, il se fait aider par un ami pour lui faire passer une pommade traditionnelle au pied gauche. A la cuisse gauche et un peu plus en bas, deux pansements sont visibles.

« Lundi soir (16 Octobre ndlr), j’étais devant notre maison et je voyais des gens courir dans tous les sens. Je suis rentré à la maison. Des gens sont rentrés chez nous poursuivis par des militaires. Et quand ils sont rentrés, c’est moi seul ils ont pu attraper. Ils ont commencé par me frapper et quand j’ai couru pour fuir dehors, il y a d’eux qui m’ont suivi et ont tiré deux balles sur moi. Quand je suis tombé, ils se sont approchés et se disaient entre eux que je suis mort ».

Ismaël Traoré Kassa, blessé à la cuisse gauche _ Sokodé _ Photo Sylvio Combey

Le jeune Kassa, la trentaine, dit avoir été dépouillé par ces hommes habillés qui ont emporté avec eux, ses deux téléphones portables et son porte-monnaie contenant sa carte d’identité et une somme de 20 mille francs.

« Quand c’était redevenu un peu calme je me suis débrouillé pour avancer un peu vers la route et c’est là des amis m’ont secouru pour me transporter à l’hôpital pour les soins », poursuit-il. Depuis lors, il dit continuer les soins, nous montrant un sachet plastique blanc qui laissait entrevoir des médicaments et dit ajouter aussi un peu de la médecine traditionnelle, d’où la pommade verte sur la jambe.

La nuit de samedi à dimanche, selon plusieurs autochtones, a été la seule tranquille. Les précédentes ont toujours été rythmées par des coups de fusils faisant terrer la plupart chez eux et pour ceux qui ont eu l’opportunité, quitter leur maison pour se réfugier en brousse.

Retour d’un voyage forcé

Ce déplacement hors de la maison a été bien forcé, pour éviter les affres militaires.

Sur la route de Bohouda, à une dizaine de kilomètres du centre-ville, un groupe de jeunes, nattes sur la tête pour certains, sceaux en plastiques tout couverts en mains pour d’autres disent revenir de la brousse où disent-ils se sont réfugiés toute la semaine. Ils se seraient nourris grâce à des tubercules qu’ils déterraient dans des champs pour se nourrir. « On nous a dit que c’est calme maintenant et qu’on peut revenir à la maison », raconte une jeune fille en Tem (la langue locale) avec un enfant à califourchon.

Une autre femme, gros sac sur la tête, nous raconte qu’une femme enceinte aurait accouché même en brousse d’un enfant prématuré mort-né. Suivre le témoignage

Sur ce sentier où le soleil commençait déjà par dicter sa loi, nous avons croisé des gens certains à pieds, d’autres à moto, rentraient chez eux, avec leurs bagages, les seuls sur lesquels ils ont pu mettre la main.

Encore une quinzaine de kilomètres, sur la route de Koudjikoro, sous un arbre, un groupe de jeunes et une femme enceinte.

Elle hésite encore de rentrer chez elle. « Ça fait 4 jours je suis partie avec 5 enfants. J’ai cherché en vain 2 d’entre eux. Mes sœurs, les frères et ma mère sont encore tous dans la forêt. Je voulais rentrer mais j’ai peur. Là où je suis, je suis malade. Je suis dans mon neuvième mois de grossesse et je sens des malaises. Je pense que je vais accoucher bientôt makis je ne sais plus comment faire. Quand on fuyait de la maison, je me suis écroulée par terre et je sens aussi des maux de rein », nous raconte-elle sous des tecks.

Une victime de bastonnade à son retour de la brousse _ Photo Sylvio Combey

Contrairement à Aïcha, certaines femmes ont bravé la peur avec leur époux et sont rentrés chez eux. Mais le retour n’aura pas été aussi facile. « Je suis parti à Sagbadèyo pour rentrer mes frères à la maison mais au retour des militaires nous ont tabassé. Ils nous ont fait coucher par terre et nous frappaient à tour de rôle avec leurs cordelettes et massues », raconte un jeune homme sous le sceau de l’anonymat, à Kpangalam Zaïre. Selon ses témoignages, ils étaient en tout 9 à subir ces forfaits pendant que les militaires se passaient le mot de ne pas les frapper à la tête, de peur de laisser de traces, confie-t-il.

Pendant plus d’une semaine, le sommeil a été rythmé par des coups de feu répétés violant les droits des populations qui aujourd’hui demandent à reprendre le cours normal de leur vie.

De notre envoyé spécial à Sokodé

Voltic Togo