La crise politique que traverse le Togo de plus fort depuis Août 2017, ne laisse pas indifférents les Togolais de la diaspora. Séna Alipui, président de la section Canada de l’Union des forces de changement (UFC) qui juge la crise, légitime, fait sa lecture et fait ses propositions pour une sortie de crise. la rédaction d’Africa rendez-vous publie en intégralité la note telle reçue.

Depuis quelques semaines, la question des réformes institutionnelles et constitutionnelles agite la classe politique Togolaise.

Début Août, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) du chef de file de l’opposition donne le ton avec une manifestation de rue pacifique. Il est suivi le 19 Août 2017, par une manifestation du Parti National Panafricain (PNP) qui dégénère et se solde par plusieurs morts suite à la répression des forces de sécurité.

Le Togo entre à nouveau dans un cycle de manifestations tant du pouvoir que de l’opposition pour réclamer des réformes avec en toile de fonds pour l’opposition, le départ pur et simple du chef de l’État.

Les institutions Togolaises et les gouvernants souffrent d’un déficit de légitimité, déficit qui se manifeste par des crises cycliques qui jusque là ont été apaisées par des dialogues, des élections frauduleuses et la répression au besoin.

Un bref tour dans l’histoire post indépendance du Togo nous apprend que le seul Président démocratiquement élu et accepté par les populations est Sylvanus Olympio. Depuis son assassinat en 1963, tous les régimes qui se sont succédés sont le fruit d’arrangement entre politiciens ou de coups d’état.

Au début des années 1990, les manifestations de rue ont amené le pouvoir au dialogue, à une conférence nationale et à une transition pour aller à la démocratie. Une nouvelle constitution dite « C92 » a été approuvée à 97% par les populations.

Elle a ensuite été modifiée unilatéralement à plusieurs reprises par la majorité présidentielle qui malgré ces tripatouillages est toujours incapable respecter la constitution tripatouillée.

Pourquoi cette situation ?

Il faut rappeler que la conférence nationale est une assise au cours de laquelle, les gens se sont cooptés pour régler les problèmes du Togo. Chemin faisant, ils se sont autoproclamés souverains, ce qui constitue un coup de force puisqu’ils ont obtenu aucun mandat de tout le peuple pour cette mission. Naturellement, l’assemblée qui en a découlé baptisée Haut Conseil de la République a suivi le même schéma de cooptation de ses membres et a accouché de la constitution de 1992.

La majorité présidentielle n’a jamais accepté la souveraineté de la conférence nationale et a usé de la force armée pour déstabiliser la transition.

Depuis, la majorité présidentielle use de la ruse, de la force et de la fraude pour se maintenir au pouvoir et l’opposition use de la rue et de la surenchère politique pour s’exprimer au nom du peuple souverain.

Les méthodes dont usent tant le pouvoir que l’opposition donnent l’impression que l’on refuse de consulter le peuple comme il se doit.  Comme acteur politique, opposant depuis près de 20 ans, à l’aune de ma modeste expérience acquise dans la lutte contre ce régime, j’estime que la ruse, la fraude et la violence d’État d’une part et les manifestations de rue d’autre part, ne sont pas le meilleur moyen régler la crise de légitimité ou de laisser la volonté populaire s’exprimer.

La persistance de ces procédés crédite l’idée que pour parvenir au pouvoir il faut soit frauder et avoir recours à la force pour couvrir la fraude ou qu’il faut manifester et sacrifier quelques vies innocentes pour obliger l’armée à intervenir pour renverser le régime en place. Curieusement, aucun opposant, ni son fils ou même son chien, n’a perdu la vie dans ces manifestations de rue, idem pour la majorité présidentielle, c’est toujours les innocents et les pauvres qui sont sacrifiés.

Mon premier postulat est que depuis Sylvanus Olympio, aucune élection au Togo n’a été transparente et les résultats acceptés par tous. Aucune constitution n’a été rédigée à la demande du peuple dans sa globalité. Je veux dire qu’à aucun moment le peuple ne s’est rendu aux urnes pour élire une assemblée constituante dont le mandat est de lui rédiger une constitution qui lui est ensuite soumise par référendum pour approbation. Puisque le Togo souffre d’une crise de légitimité de ses institutions et de ses gouvernants on ne saurait prendre de raccourci pour régler cette crise cinquantenaire.

Mon second postulat est que le pouvoir appartient au peuple.

Quand on dit que le peuple est souverain, ça ne veut pas dire que seule la partie du peuple qui est dans la rue est souveraine.

C’est une partie du peuple qui est dans la rue, c’est une partie du peuple qui est au pouvoir, c’est une partie de peuple qui est dans l’armée, c’est une partie du peuple qui forme la diaspora.

Ces différentes parties du peuple expriment ce qu’ils pensent être l’opinion de la majorité du peuple et essaient d’imposer leur volonté à l’ensemble du peuple.

Le meilleur moyen de laisser l’ensemble du peuple s’exprimer c’est à travers des élections libres et transparentes et non des marches, des coups de force et des fraudes électorales.

Notre démarche vise à consulter le peuple dans sa globalité et sa diversité dans la transparence pour avoir son opinion. Si c’est la constitution qu’on veut changer, le meilleur moyen pour le peuple de se doter d’une constitution c’est la mise en place d’une assemblée constituante.

De 1963 à 2017, le peuple n’a jamais été impliqué de bout en bout dans les questions de constitutions. C’est toujours une partie du peuple qui n’a pas un mandat du peuple dans son entièreté qui concocte des constitutions et après une autre partie du peuple conteste, modifie, tripatouille ou s’agite. Dans la constitution de 1992 par exemple, le peuple n’est qu’en aval du processus. Ceux qui ont rédigé cette constitution n’ont jamais été élus. Ceux qui étaient en marge du processus ont attendu que le vent tourne en 2002 pour opérer un tripatouillage que l’on traine jusqu’alors. Si on avait appris à se parler en frères d’un même pays et à travailler ensemble on n’en serait pas là.

Nous sommes en 2017, Le Togo n’a pas besoin de la constitution de 1992. Le Togo n’a pas besoin de coupure d’internet chaque fois que les gens marchent, de rentrées scolaires reportées ou de populations malmenées comme à Mango. Il urge de sortir de cet obscurantisme dans lequel le pouvoir et le courant dominant de l’opposition veulent nous maintenir. La constitution n’est pas une arme dont on se sert pour terrasser des adversaires politiques ou imposer un règne éternel aux populations.

Quelle solution pour sortir de la crise de légitimité ?

Il faut redonner la parole au peuple souverain à travers l’élection d’une assemblée constituante. L’assemblée constituante va rédiger une nouvelle constitution qui sera soumise au peuple par référendum. Pour aller à l’élection d’une assemblée consituante, il faut ouvrir une transition vers une nouvelle république.

Le but de la transition politique est de débloquer la situation actuelle en usant du dialogue pour amener la classe politique représentée au parlement à mettre en place un gouvernement de transition dont la mission est l’élection d’une assemblée constituante qui va nous rédiger une nouvelle constitution.

Le gouvernement de transition aura pour président le chef de l’État actuel de préférence ou un représentant de la majorité présidentielle (le président de l’assemblée nationale par exemple) et le premier ministre sera désigné par le parti d’opposition ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages lors des dernières législatives.  Le gouvernement sera composé des partis parlementaires dans la proportion des suffrages exprimés (pas du nombre de sièges obtenus).

Le gouvernement de transition aura pour mission de gérer le pays de façon consensuelle pendant la transition et d’épauler une Commission Électorale technique dont la mission sera d’organiser l’élection d’une assemblée constituante et les élections subséquentes jusqu’à la fin de la transition.

En préparation de l’élection, le gouvernement aura entre autre pour mission de :

Procéder à un recensement de la population au Togo et de la diaspora ;
Délivrer des pièces d’identités aux populations pour endiguer les fraudes liées aux citoyens qui votent sans pièces d’identités sur la base de témoignages de notables.
Procéder à un découpage électoral équitable et consensuel.
Épauler la Commission Électorale technique pour organiser les élections.

Au niveau de la commission électorale, nous proposons la mise en place d’une CENI technique.

La CENI aura pour rôle, outre l’élection de l’assemblée constituante, d’organiser les élections municipales, législatives, présidentielles et référendaires. Pour assurer son indépendance, la CENI sera dotée d’un budget fonctionnement et ses membres disposeront d’une immunité similaire à celle des membres du parlement.

Pour la période de transition, nous suggérons que la CENI soit présidée par un représentant des Nations Unies ou par une personnalité nationale ou sous régionale faisant l’objet d’un large consensus. Passée la période de transition, un chef traditionnel ou un représentant du pouvoir judiciaire pourrait diriger la CENI technique et permanente pour un mandat de 10 ans non renouvelable.

La CENI technique sera épaulée par un conseil de surveillance qui inclut des représentants désignés par le pouvoir exécutif, législatif (1 représentant par parti parlementaire), judiciaire, la chefferie traditionnelle, l’armée, la société civile un représentant de la CEDEAO, de l’Union Africaine et des Nations-Unies. Les membres du conseil de surveillance participent à l’ensemble des activités du bureau s’ils le souhaitent mais ne disposent pas de voix délibérative.

La mise en place d’un gouvernement de transition et d’une assemblée constituante va permettre au Togo d’avoir :

Une nouvelle constitution pour une nouvelle République à l’horizon 2020 ;
Le droit de vote pour la diaspora ;
Un recensement et la délivrance de pièce d’identité à l’ensemble de la population ;
Un découpage électoral équitable et consensuel ;
Des élections libres transparentes supervisées par les Nations-Unies ;
Une amnistie pour les crimes politiques et économiques ;
Un resserrement des conditions sous lesquelles l’armée peut être déployée dans le pays
Une gestion consensuelle des affaires la cité par l’ensemble de la classe politique.

Bien entendu, les acteurs de la transition qui souhaitent prendre part aux élections à venir devront démissionner de leurs fonctions au moins 3 mois avant ladite élection.

Ce schéma nous permettra de restaurer la légitimité des institutions de la République, de préserver le calme et d’aller ensemble vers une nouvelle république inclusive pour la prospérité de tout un chacun.

Je ne crois pas qu’il faille résumer l’action politique à des manœuvres visant à faire partir un individu pour en faire venir un autre. Nous avons des hommes forts parce que nous avons des institutions faibles et illégitimes. Nos problèmes qu’ils soient politiques ou économiques sont liés à l’absence de légitimité de nos dirigeants.

Il faut assainir l’environnement politique et changer la mentalité du plus grand nombre. C’est un travail de longue haleine qui requiert, temps, patience, dialogue et actions concertées.

J’invite donc l’ensemble de la classe politique au dialogue pour régler la crise politique et ouvrir une transition qui va permettre de mettre le Togo sur la voie de la démocratie.

Dans la situation actuelle, il n’y a pas quelqu’un qui est bon et son ami mauvais au Togo, c’est la culture dans le pays, le système politique et l’absence de légitimité des institutions qui sont en cause et non un individu. Dépersonnalisons le débat, allons vers une constitution inclusive qui règle les problèmes du présent et de l’avenir.

Le dialogue, comme nous l’enseigne le sage Félix Houphouët Boigny, c’est l’arme des forts. Dans le cas du Togo, c’est la solution la moins coûteuse pour mettre tout le monde à l’aise.

 À bien y penser, lorsqu’on veut se libérer et qu’on va aux toilettes, quel qu’en soit sa force ou son rang on est obligé de s’asseoir pour se libérer. Asseyons-nous et discutons c’est la solution la moins coûteuse.

Comme opposant, je ne saurai terminer sans saluer l’union qui s’est faite autour du chef de file de l’opposition, union qui dure depuis deux mois. C’est inédit dans notre histoire politique récente. Nous saluons également le courage du chef de file de l’opposition qui travaille dans des conditions particulièrement difficiles. Nous pensons que le chef de file de l’opposition pourrait arracher beaucoup plus d’acquis démocratiques en dialoguant avec le pouvoir au plus haut niveau plutôt que de rester dans la rue, mais comme le choix tactique lui appartient nous lui souhaitons du courage étant donné que nous poursuivons le même but mais avec des tactiques différentes.

Nous, nous croyons au dialogue, à des élections libres pour changer le gouvernement en place. Nous croyons que la politique de la chaise vide ne mène nulle part et nous sommes convaincus que la politique ne doit plus se faire dans la rue ou occasionner des morts. Nous croyons à une démocratie qui s’enracine graduellement plutôt qu’à une révolution populaire dans la rue.

En conclusion, nous disons que le Togo a besoin d’ouvrir une transition pour aller à une nouvelle république et le meilleur moyen d’y parvenir est la mise en place d’un gouvernement de transition qui va procéder à l’élection d’une assemblée constituante qui va nous rédiger une nouvelle constitution qui sera soumise au peuple par référendum. Ensuite les élections subséquentes se tiendront sans histoires de rétroactivité puisque nous serons dans une nouvelle république.

Il est illusoire de penser se maintenir au pouvoir indéfiniment par la force, la ruse et la fraude et il est tout aussi illusoire de penser que l’on retournera à la constitution de 1992, parce qu’une partie significative du peuple manifeste.

Le Togo doit changer de culture (mentalité), de système politique, économique et social et passer par une transition pour y arriver.

Quand nous disons transition, tout le monde pense à l’alternance. Il faut garder à l’esprit que

La transition que nous souhaitons peut ne pas se solder par une alternance mais la transition doit nécessairement se solder par une constitution légitime et des élections libres, transparentes et dont les résultats sont acceptées par tous.

Notre but est d’instaurer une véritable démocratie et une économie de marché avec comme toile de fonds, le libéralisme politique et économique.

Pour résoudre une crise de légitimité, il faut redonner la parole au peuple dans sa globalité. La transition a pour but de définir ensemble les règles du jeu et de consulter le peuple sur la direction qu’il souhaite emprunter. Ce qui est donc important, c’est que le processus soit légitime, libre et transparent et que la volonté populaire s’exprime librement et pacifiquement.

Le Togo n’échappera pas à la démocratie, dialoguons et allons-y ensemble plutôt qu’en rangs dispersés les uns contre les autres.

La lutte continue.

 

Voltic Togo