« Liberté » et « Innovation » sont les deux mots qui peuvent définir cet innovateur ivoirien. Florent Youzan fait partie de la catégorie de rares jeunes africains qui abandonnent un poste en entreprise pour oser innover. Co-fondateur du tiers-lieu « Ovillage », un espace technologique et collaboratif à Abidjan et contributeur sur plusieurs projets liés au numérique à travers l’Afrique, Florent Youzan est un concepteur des ponts de l’intelligence collective. Africa Rendez-vous lui a tendu le micro dans le cadre de la 6ème édition d’InnovAfrica, une rencontre de l’innovation  africaine, tenue à Lomé.

Florent Youzan, que représente pour vous le rendez-vous d’InnovAfrica ?

Je vous remercie pour l’importance que vous accordez déjà à ce forum. Le rendez-vous d’InnovAfrica pour moi, c’est la réinvention de l’éducation et la mise en avant d’une prise de conscience du fait que l’Afrique est obligée d’innover pour pouvoir avancer. Cette innovation a deux grands acteurs notamment les jeunes et les femmes. C’est pourquoi je me réjouis d’être au Togo avec toute cette jeunesse togolaise et celle venue des 15 autres pays africains pour venir communier, échanger et collaborer.

Pour moi, InnovAfrica, c’est la réinvention de l’éducation par une prise en compte de l’innovation comme étant un axe stratégique du développement.

Depuis le 24 novembre, vous côtoyez plusieurs jeunes innovateurs, avez-vous été émerveillés ?

Florent encadré par une participante et l'organisateur
Florent en discussion avec une participante et l’organisateur

Oui! Le projet sur la robotique. La robotique, c’est vraiment l’avenir de la technologie. C’est aussi l’avenir de l’automatisation, de l’industrie,  de tout ce qui pourrait permettre à l’homme de s’épanouir tout en réduisant l’énergie qu’il dégage pour travailler. J’ai vu des jeunes africains prototyper des robots et manipuler des microcontrôleurs. Et pour moi, c’est déjà un pas très important parce qu’ils se sont réappropriés la technologie et ils vont la conjuguer pour l’Afrique. Ils vont faire en sorte que cette technologie réponde exactement à des besoins spécifiques de l’Afrique. J’ai également vu des jeunes sûrs de la cartographie. Ils réécrivent l’histoire de l’Afrique, retracer les rues de l’Afrique à partir du numérique. L’Afrique peut constituer sa base de données de systèmes géographiques à partir des logiciels libres. Mais ce qui est important, c’est que cette base de données soit développée par de jeunes africains de manière collaborative.

J’ai aussi été séduit par Diomède Niyonzima qui est porteur d’un projet très intéressant pour l’Afrique, « Lueur d’espoir ». Comment des africains peuvent soutenir l’Afrique à réussir son développement. Et il part de constats très simples. Les acteurs du développement, ce sont les citoyens et lui il ne fait pas la part des choses entre ceux qui sont assermentés pour faire du développement (d’applications ndlr) et ceux qui sont là pour recevoir du développement.

Si l’Afrique était Wikipédia, chaque africain qui est contributeur sur ce Wikipédia serait président de l’Afrique.

Et c’est comme ça que nous devons comprendre cette démarche. Et on arrive à le démontrer facilement par le numérique. Pour moi ce sont les messages forts de ce forum.

Vous êtes co-fondateur de « Ovillage ». Voudriez-vous nous en parler ?

Ovillage, c’est un espace d’intelligence collective et d’innovations sociales. C’est un tiers-lieu. Ce n’est ni un bureau, ni la maison. C’est un lieu à cheval entre le bureau et la

Florent Youzan au cours de la rencontre InnovAfrica
Florent Youzan au cours de la rencontre InnovAfrica

maison, donc c’est vraiment un endroit transversal où plusieurs intelligences se retrouvent pour échanger, pour collaborer. Dans ce genre d’espace, on arrive à faire comprendre aux gens que le développement doit être mené par les citoyens eux-mêmes. Et faire en sorte que l’échange, le partage, la collaboration et l’entraide soient les valeurs clés du prochain développement de l’Afrique.

Les logiciels libres par l’Afrique. Pourquoi cette démarche ?

Une chose qu’il faut comprendre est que le logiciel libre est porteur d’espoir pour l’Afrique. J’ai vu des jeunes africains étudier avec la peur au ventre, en se demandant s’ils pourront avoir une insertion professionnelle. J’ai vu des parents amener leurs enfants à l’école en se posant la question, s’ils auront les moyens d’acheter toute l’infrastructure informatique qu’il faut pour l’éducation de leurs enfants.

Le logiciel libre c’est une voie qui s’offre à l’Afrique. C’est une voie qui s’offre à chaque jeune africain de pouvoir  réinventer son éducation.

La philosophie du logiciel libre est très simple. Nous axons l’éducation sur le partage. J’ai toujours demandé que l’éducation en Afrique soit réinventée, parce qu’on ne peut pas former les gens dans la division, et leur demander 15 ans plus tard de travailler en collaboration dans les entreprises.

Le logiciel libre est un axe stratégique d’insertion professionnelle. Ça fait 50 ans que l’Afrique lutte contre le chômage. Mais tant qu’on continuera de lutter contre le chômage, il aura toujours des chômeurs en Afrique.

Il faut qu’on arrête de former des demandeurs d’emplois, pour laisser la place à une formation orientée vers les créateurs d’emplois.

Florent Youzan
Florent Youzan

Le logiciel donne la possibilité à n’importe quel jeune africain de prototyper une idée d’entreprise et de se lancer dans l’entrepreneuriat. C’est comme ça qu’on va donner une force à la jeunesse africaine sur un podium où elle aura la voix pour parler au monde entier.

Un appel aux jeunes qui pensent à un autre Eldorado?

Il faut que la jeunesse africaine comprenne que nos différents pays doivent arrêter de construire des murs et construire plutôt des ponts, parce que les ponts sont plus solides que les murs. En construisant des ponts entre nos différentes capitales, nous allons créer un brassage d’intelligences et nous allons amener la jeunesse africaine à échanger, à partager et à innover. Je parle d’un pont virtuel.

L’avenir de l’Afrique, ce n’est pas ailleurs. L’avenir de l’Afrique c’est ici.

Le moment est venu de mobiliser nos forces, d’agréger nos intelligences pour pouvoir créer la matrice du développement de l’Afrique. Chaque jeune africain est acteur du développement, quand il aura compris qu’en lui, il y a du potentiel qu’il doit pouvoir mettre à la disposition de l’Afrique. Je me réjouis d’une chose, il fût un moment où tout le monde disait que l’Afrique n’avait que des problèmes. Mais moi je connais un continent qui est en train de subir une transition numérique. Et chaque jeune se rend compte qu’en réalité, chaque problème d’un africain est une opportunité pour innover. C’est pourquoi je demande à la jeunesse africaine, de peut-être voyager pour découvrir plein de choses, mais d’avoir les pieds en Afrique. Car c’est en Afrique, que nous allons créer l’innovation pour la population africaine. Chacun de nos problèmes est une richesse pour nous. Il faut juste savoir où se trouve la richesse.

Interview réalisée par Mawulikplimi Affognon
Voltic Togo