Ils sont de plus en plus nombreux les musulmans qui remettent en cause certaines interprétations faites de l’Islam. Traoré Hanane Kéita va plus loin et propose un « renouvellement des interprétations historiques afin d’y intégrer des concepts modernes de démocratie et de droits de l’Homme. » C’est l’essentiel de son  ouvrage  « Et si on relisait le Coran ? ».

Mme Kéita, pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?

J’ai réfléchi sur le sujet pendant longtemps, et j’ai commencé à écrire depuis deux ans. J’aimerais tout d’abord préciser que ça n’a rien à avoir avec la situation actuelle du Mali. Ce n’est pas destiné à un pays en particulier. Je trouve que l’Islam concerne les musulmans du monde mais aussi les non-musulmans. J’ai toujours pensé qu’il faut relire le Coran parce qu’il y a eu beaucoup d’interprétations à travers les 14 siècles passés. Certaines de ces interprétations ne sont pas compatibles avec notre temps, ce qui fait qu’on s’éloigne du message universel qu’est le Coran. Il faut le relire pour avoir une autre vision de l’Islam.

 De quoi parlez-vous dans ce livre?

Tout d’abord, ce livre est destiné à la nouvelle génération. Il est question de l’Islam et de comment reformer la pensée islamique au XXIè siècle. Je parle aussi dans le livre de ceux qui se sont autoproclamés gardiens de l’Islam or chacun sait qu’il n’y a pas de clergé en Islam. Pour cela, il ne faut pas laisser le Coran à la portée de ceux qui se prétendent détenteurs de l’Islam.

En rédigeant votre livre, avez-vous eu à discuter avec des Imams, Oulémas pour avoir leur avis sur la question?

Issue de famille musulmane, j’ai eu à discuter avec les parents, les Imams depuis l’enfance et avec des Oulémas lors des voyages. C’est des questions que je me se pose tout le temps. C’est le fruit de toutes ces années d’échanges entre parents, Imams et d’autres personnes ressources qui a aboutit à la naissance de« Et si on relisait le Coran ? ».

Parlant de l’Islam et de la femme, vous écrivez que « la situation de la femme a toujours été un problème épineux sur lequel réformistes et conservateurs n’ont pas trouvé un consensus. » Pourquoi une telle réticence à admettre l’égalité entre homme et femme ?

Moi personnellement je ne pense pas qu’il y a inégalité entre l’homme et la femme en Islam. Je crois que l’Islam a mis la femme sur le même pied que l’homme. Bien avant l’Islam, on ne considérait pas la femme, elle était tout simplement un objet. L’Islam est venu restaurer les inégalités dans les châtiments comme dans la récompense, que ce soit sur terre ou dans l’au-delà. Avec l’avènement de l’Islam, la femme est devenue un être à part entière. Ce que les gens doivent savoir est qu’il y a une grande différence entre le Coran qui est une parole divine et l’interprétation qui est humaine. Et comme l’a dit Ali, le gendre du prophète, «le Coran ne parle pas, ce sont les Hommes qui parlent a travers lui. »

Comment expliquez-vous le fait que certains invoquent le nom d’Allah avant de faire du mal puisque vous écrivez à la page 21 que le Coran révèle un degré supérieur d’humanisme en citant la sourate 5, verset 32 « Tuer une personne revient à tuer tous les hommes en leur entier »

Ils croient tout simplement que tuer est une façon d’adorer Dieu. En conséquence, ils invoquent son nom, mais c’est aussi pour se convaincre et se donner une certaine légitimité dans leur acte. Toutefois, il faut savoir que ces gens n’ont rien compris de l’Islam. D’ailleurs, ils utilisent l’Islam comme couverture pour justifier leurs agissements. Tout le monde sait qu’en Islam la vie de l’être humain est sacrée parce qu’elle contient dans son fini l’infini qui est Dieu.

Quel regard portez-vous sur l’interprétation du Coran au Mali ?

Il n’y a pas une interprétation spéciale pour le Mali, les musulmans ont commencé à interpréter le Coran deux ou trois siècles après la disparition du Prophète. Il y a eu plusieurs interprétations. Il y a eu une telle accumulation qu’on fini par s’éloigner du message universel qui est un message tolérant, un message d’amour et de fraternité. Nos ancêtres et nos anciens ont interprété le Coran selon le contexte socio historique dans lequel ils ont vécu et selon leur compréhension. Le coran est une parole de Dieu, une parole vivante. Si c’était une parole morte, elle allait être figée dans le temps et dans l’espace. Quand on est vivant, on évolue. La religion n’a jamais été un poids, elle a toujours été là, comme un remède pour apaiser l’angoisse existentielle de l’homme. Pour finir, on oublie l’amour de Dieu et sa miséricorde. Il faut relire le Coran, c’est-à-dire l’interpréter selon le contexte actuel. Seuls les nouveaux penseurs d’un Islam de lumière pourront faire un tel travail.

Vous aussi interprète traductrice français-arabe, est ce qu’il y aura une version arabe de cet ouvrage?

Ce n’est pas prévu pour le moment. Toutefois la traduction va être quelque chose de plus, mais si l’éditeur suppose qu’il peut le traduire en arabe, ça va être une bonne chose.

Voltic Togo