Pour la seconde fois consécutive, le journaliste écrivain Sylvestre Béni interpelle un Chef d’État. Après le président François Hollande, c’est au tour du chef de l’État togolais Faure Essozimna Gnassingbé. Ce dernier est interpellé sur la situation sociopolitique qui prévaut dans le pays mais aussi et surtout, sur sa candidature (à polémique) de 2015. In extenso, la lettre ouverte.
Accra, 24 mars 2014
LETTRE OUVERTE A MONSIEUR FAURE E. GNASSINGBE, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE TOGOLAISE
Excellence Monsieur le Président Faure Essozima Gnassingbé,
Permettez nous d’abord, comme le veut la tradition au début de chaque année, de vous présenter nos vœux de santé, de prospérité et surtout de vision pour votre cher pays, le Togo. Que Dieu, le Père Tout-puissant vous assiste à être un combattant infatigable contre les forces occultes qui luttent contre l’avènement de la démocratie et contre l’alternance politique au Togo. Ainsi soit-il!
Monsieur le Président de la République,
Dans un monde où la vie n’est plus sacrée, où la liberté est confisquée, l’alternance gelée, où la famine et la pauvreté sont répandues et où les injustices sont monnaie-courante, ajoutées aux tristes histoires des morts en cascade en détention et autres désastres humainement provoqués qui croissent de plus en plus, mettant le rêve des Peuples, tout leur espoir de demain sera meilleur au petit trou d’une souris, vous conviendrez avec nous, Monsieur le Président, que ces Peuples n’ont autre alternative que de se lever en bons guerriers, en combattants engagés et déterminés pour aller chercher leur salut. Si vous vous en doutez, c’est malheureusement le portrait réalisé de la nation togolaise en moins d’un an du grand rendez-électoral de 2015.
Excellence Monsieur le Président,
Aujourd’hui, la tension est saisissable dans la République, l’atmosphère lourde et pesante et c’est le Togo qui serait la risée des autres nations. Quel sera le sort qui nous en sera encore réservé si vous vous décidez pour un troisième mandat en 2015 ? Déjà, le seul fait que vous gardez le silence jusqu’aujourd’hui sur votre candidature ou non au prochain scrutin présidentiel cristallise des passions convulsives et énergies vives dans les rangs de la jeunesse togolaise se réclamant de l’un ou de l’autre bord politique, Pouvoir ou Opposition, et là, il y a de fortes raisons à craindre le pire. Car, votre envie d’être candidat à votre propre succession ne fait plus l’ombre d’un doute. Sinistrement, les prémisses d’un scrutin à haut risque et d’une nation déchirée comme ce fut le cas en 2005 se dessinent. Le mal semble être encore à nos portes et nous devons faire diligence pour le conjurer à travers des actes responsables que nous poserons. « Plus jamais ça sur la Terre de nos aïeux ! », dites-vous déjà en 2007. Deux ans plus tard, vous réitérez le souhait : « Jamais plus la politique ne doit faire couler le sang au Togo ». Un vœu qui devient une prière quotidienne des Togolais et maintenant, il faut que des actions concrètes puissent suivre.
Excellence Monsieur le Président,
« Il suffit d’une étincelle pour embraser le Togo », déclarait il y a seulement quelques mois Mgr. Nicodème Barrigah-Benissan dans une interview accordée au journal en ligne la-croix.com. Oui, le président de la CVJR est conscient de l’état de fragilité de la nation togolaise. Et c’est normal, qu’il demande à tous, « Fais ta part ». Votre part, Excellence Monsieur le Président, sinon le rôle majeur que vous devez jouer illico presto, c’est renoncer simplement à votre troisième mandat. La proposition peut vous sembler amusante, mais vous avez le destin de la nation togolaise entre vos mains. Soit vous vous fichez du qu’en dira-ton et décidez de foncer droit dans le mur, advienne que pourra, et vous aurez été prévenus des conséquences de l’imprudence, soit vous choisissez la voie de la sagesse en vous retirant volontairement de la course en 2015 et beaucoup ne retiendront que ce seul exploit.
Excellence Monsieur le Président, vous conviendrez avec nous que le choix ne sera difficile que pour l’esprit qui manque d’amour et de vision pour son pays et qui privilégie ses intérêts sordides et inavoués. Qu’à cela tienne, cette voix annonçant l’imminence du bonheur résonne encore dans nos oreilles : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? La nuit est longue mais le jour vient ».
Excellence Monsieur Faure Essozima Gnassingbé
L’exercice auquel nous voudrions vous convier, est de regarder autour de vous. Non pas dans votre environnement immédiat, car vous n’auriez rien trouvé autre des griots qui vous disent que vous faites bien, donc de continuer. Ils vous trompent, ils luttent pour leur ventre. Ils sont de « la minorité » que vous-mêmes aviez pu déceler ainsi que leurs desseins. Pendant trente-huit longues années, c’est le même discours qu’ils ont tenu à votre feu père Eyadéma. Paix à son âme ! Heureusement que vous reconnaissez que votre père n’avait pas bien gouverné et que le pays était constamment sous tension : « Les avancées de la démocratie et du pluralisme politique sont réelles et irréversibles au Togo. Rien n’arrêtera le Togo sur cette lancée, car c’est ensemble que nous avons pu tourner le dos à deux décennies de heurts, de soubresauts et de crispations », dites-vous aux lendemains des présidentielles de mars 2010. Ces deux décennies, c’était sous Eyadéma. Maintenant, en choisissant d’agir ensemble, nous voulons en finir définitivement avec les heurts et ou soubresauts et crispations. Pour ce faire, l’exercice auquel nous vous convions est de regarder les pays limitrophes du Togo, le Benin, le Ghana, en oubliant bien sûr ce qui se passe au Burkina Faso, puisque Monsieur Blaise Compaoré est lui en train de filer un mauvais coton. Bientôt des hommes intègres réprouveront sa dictature et là, ses discours flatteurs ne suffiront plus pour régler la crise. Ce n’est vraiment pas un exemple à suivre.
Excellence Monsieur le Président, dans ces Républiques voisines du Togo, la démocratie n’est pas apparente. Elle est une réalité. C’est ce que nous voudrions également pour le Togo ; une société responsable qui respecte les droits et libertés individuels et collectifs des citoyens, un véritable État de droit qui dit non aux crimes couvés, aux accords délaissés, aux rapports expurgés, et donc non à l’impunité.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Rejouez le dernier disque de votre homologue sénégalais Macky Sall qui décide volontiers de ramener la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et avec effet immédiat. Peut-être que la démocratie sénégalaise est trop élevée de la nôtre ; de celle togolaise. Alors nous proposons celle de la République Démocratique du Congo. Là, nous avons presque les mêmes histoires, un père qui décède et un fils qui prend le pouvoir, et la démocratie qui ne cesse de reculer au jour le jour. Mais récemment, le Président Joseph Kabila a marqué un gros point, il ne modifiera pas la Constitution pour se représenter à la fin de son mandat dans deux ans. « L’imitation est la plus sincère des flatteries », disait Charles Colton. Flattez-nous donc, Monsieur le Président Faure Gnassingbé, et retirez-vous, toute la nation togolaise vous en sera gré.
Béni Sylvestre
Journaliste-Ecrivain
benilesaint@yahoo.fr