Le Togo vit au ralenti, c’est le constat fait par beaucoup d’observateurs depuis la présidentielle du 25 avril 2015. Paul Amégankpo, le Directeur exécutif de la Concertation nationale de la société civile (CNSC) dresse son tableau de la situation qui prévaut dans le pays au lendemain de la formation du nouveau gouvernement.

Africa rendez-vous : Deux mois après la présidentielle du 25 Avril dernier, vous avez-vous, une explication à cette situation ?

Paul Amégankpo : Nous pouvons dire que les deux mois de latence sont dus au retard dans la mise en place du gouvernement a pris du retard. Cela a eu d’impacts sur l’éclosion de nouvelles dynamiques post-élections surtout qu’il y a un certain nombre de questions qui sont en attente notamment celles concernant les réformes constitutionnelles et institutionnelles, le front social qui s’était calmé il y a un moment mais qui a besoin d’un nouveau portefeuille qui devrait être l’interface au niveau de l’administration publique pour relancer les débats.

Il y a également d’autres questions relatives à la réconciliation, aux droits de l’homme et les questions globalement liées au renforcement de la gouvernance publique d’où interviennent les questions de décentralisation, des élections locales. Tout ça mérite que nous ayons un gouvernement en place avec des portefeuilles spécifiques. Donc, vous voyez qu’après la mise en place du gouvernement on a noté avec regret que le ministère des droits de l’homme ou le secteur des droits de l’homme n’a plus de titulaire.

Doit-on sen réjouir ?

Pas vraiment!  Parce que nous savons que l’élection présidentielle de 2015 a été organisée sur fond de minima. Un minima pour préserver un climat de paix, minima pour préserver la stabilité socio-politique mais ce n’est pas une élection qui a constitué un rendez-vous où le peuple pouvait choisir une majorité et que cette majorité devrait gouverner sans faire appel à d’autres entités, à d’autres sources socio-politiques du pays.

Ce que nous avons noté, est que ce gouvernement est tout sauf un gouvernement inclusif. Un gouvernement qui a plus une connotation partisane. UNIR (Union pour la République) renforcée par des acteurs-clés du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais) qui ont refait surface. Notre proposition pour réserver un lendemain meilleur après les élections pouvant permettre aux populations et aux acteurs politiques de se retrouver était de créer un gouvernement inclusif.

Faure Gnassingbé a gagné, le pouvoir ne se partage pas dit-on. 

En démocratie, ça va de soi mais notre démocratie est encore naissante et en construction. Nous savons très bien que pour le scrutin, il y a eu quand même d’autres forces. Il y a eu cinq candidats, et le candidat d’UNIR l’a emporté mais les autres qui sont de l’opposition sont également d’autres courants politiques, c’est-à-dire, de visions idéologiques différentes. Et donc, si on ne peut pas inclure tous les candidats malheureux de cette présidentielle dans la composition du gouvernement, au moins, on devrait faire en sorte qu’il y ait un profil qui ait un lien avec ces acteurs-là. Nous n’avions pas parlé d’un gouvernement d’union mais d’inclusion. Cela veut dire qu’on pouvait chercher des compétences au niveau de la classe politique de l’opposition et même celles qui n’ont pas présenté de candidats pour cette élection. Ceci, pour que d’autres angles de vision politique soient pris en compte dans la nouvelle orientation de la politique générale.

En clair, ce que nous avons pu constater et qui a eu un impact dans la déclaration de politique générale, est que c’est un discours de bonnes intentions. Nous avons comme l’impression que le discours du Premier ministre tel que présenté comme politique générale à l’Assemblée Nationale n’a pas fait objet de critiques. Parce que ça a été plus de théories, plus de bonnes intentions que des questions concrètes à régler.

Nous avons été stupéfaits lorsque sur la question de la décentralisation, on lui posait la question de savoir à quel moment se tiendront les élections locales, il répondait :  » est-ce que le député voulait être candidat lui-même aux élections locales. Sinon, c’est une question qui sera réglée mais à l’avenir si le comité mis en place pour définir la feuille de route sortait son rapport « . Pour nous, c’est une manière vague pour un Premier ministre au sortir d’une élection présidentielle où son parti a présenté un projet de société, qui à notre avis a été voté, de pouvoir répondre à des questions préoccupantes d’une manière aussi vague.

Et vous, que dites-vous de ces locales ? 

Nous osons croire que ces élections locales doivent avoir lieu au plus tard en 2016. Pourquoi 2016 ? Nous savons pertinemment que la loi des finances 2015 n’a pas prévu de ressources pour cela, et nous sommes également convaincus que même si les partenaires apporteront des contributions, ça ne peut pas être à la hauteur des attentes si on veut organiser des élections au niveau communal, au niveau préfectoral et pourquoi pas régional. Il était également envisagé le niveau cantonal dans certains cantons qui sont fiables. Un travail minutieux doit être fait donc, il faut du temps et également des ressources. C’est tout cela qui nous amène à la conclusion qu’il faut un minimum d’un an pour pouvoir les planifier. Mais notre inquiétude aujourd’hui est que la politique générale du gouvernement ne laisse pas croire que ces élections locales font partie des priorités du gouvernement.

Diriez-vous que c’est du mieux avec la gouvernance publique ?

Paul Amégankpo 2La situation en matière de gouvernance publique est encore morose. Il y a certes des avancées parce que les espaces de liberté publique sont ouverts. C’est le premier élément pour favoriser une gouvernance démocratique et participative. Mais cet espace n’est pas bien géré par les autorités publiques parce qu’il y a une relation établie : c’est l’offre et la demande.

Les citoyens demandent les meilleures conditions de gouvernance, les meilleures prestations de service et l’Etat et les gouvernants offrent les meilleurs cadres de participation des citoyens. Mais nous avons senti que l’offre au niveau des gouvernants n’est pas encore bien peaufinée pour qu’elle puisse servir aux citoyens.

Lorsque nous prenons le parlement, c’est seulement au Togo que les activités parlementaires ne sont pas transmises par les médias. Il faut que l’Etat dotent les médias de moyens pour que ce qui se fait au niveau des représentants du peuple soit accessible au peuple directement dans les langues nationales et de la manière la plus simple possible. Ça c’est un frein à la gouvernance.

La cour des comptes qui devrait être l’institution qui rend compte aux citoyens de la manière dont les biens publics sont gérés, aujourd’hui, nous ne savons pas combien les factures coûtent pour l’Etat, ni pour l’électricité, ni pour la résidence de nos gouvernants. Personne ne sait combien dépense le président de la république par an. Des fois dans le budget, on dit que c’est un milliard pour l’électricité mais à la fin, on ne sait pas comment ce milliard est géré et où les factures sont-elles payées. C’est des exemples simples qui concernent les populations.

Nous avons la question de décentralisation. À partir du moment où nous avons des personnes nommées à la tête de nos collectivités, il ne peut pas avoir une gouvernance participative. C’est des gens pas nécessairement compétents, qui n’ont pas nécessairement une vision, in fine, c’est des gens qui ne rendent pas compte au peuple mais à ceux qui les ont nommés. Comment voudrez-vous qu’ils répondent aux appels et interrogations du peuple? À partir du moment où ce n’est pas encore établi, notre gouvernance est encore morose.

Voltic Togo