Chaque 26 Juin, est célébrée, la journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. L’Afrique est souvent présenté comme un continent où la sacralité de la vie humaine est bafouée ou encore où des personnes subissent des sévices corporelles en détention, de la torture et traitements cruels, inhumains et dégradants. L’Organisation mondiale contre la torture s’y oppose avec véhémence. Isidore Collins Ngueuleu Djeuga, responsable des programmes de l’OMCT était en mission à Lomé au Togo. Il parle des défis du continent et du Togo en terme de lutte contre la torture. Interview réalisée par Sylvio Combey.

Il y a encore beaucoup de pays sur le continent africain où la pratique de la torture est plutôt systématique

La torture en Afrique, c’est fini?

Ce serait trop facile d’affirmer que la torture est finie en Afrique. Sur le continent africain il y a encore un certain nombre de pays où la torture se pratique de manière institutionnelle c’est-à-dire que les cadres législatifs et institutionnels ne prohibent pas encore la torture ou bien ne s’arriment pas aux standards internationaux consacrés dans la convention des nations unies contre la torture et traitement cruel, inhumain et dégradant.

Au delà de ces dispositions légales et institutionnelles, il y a encore beaucoup de pays sur le continent africain où la pratique de la torture est plutôt systématique que se soit dans les conflits armés, les opérations de maintien de l’ordre, les milieux pénitentiaires donc le défit est encore immense sur le continent.

Quels pays pointerez-vous par exemple?

Au Zimbabwe par exemple, il y a eu des allégations de torture suite aux manifestations de la société civile et des partis politiques. De même au Soudan, il y a eu des allégations suite aux manifestations des populations qui manifestaient contre le coût de la vie et un certain nombre de plaintes sociales. Il se plaignent d’actes de torture et de traitement inhumain et dégradant. Et on peut élargir cette liste à plusieurs pays notamment le Cameroun, des pays où plutôt des conditions carcérales peuvent aller jusqu’à la pratique de la torture.

Au Togo par exemple, le milieu carcéral souffre encore d’une déficience profonde où les  personnes vivent entassées dans des cellules, dans des conditions inacceptables. Et au fur et à mesure que tout cela s’étant et devient systémique cela peut être qualifié d’acte de torture ou de traitement cruel, inhumain et dégradant.

Le Togo a fait beaucoup d’efforts

Vous voulez dire que la torture est encore pratiquée au Togo?

Le Togo a fait beaucoup d’efforts, il faut le reconnaitre dans son dispositif légal, dans la formation de son personnel pénitentiaire, dans la formation du personnel judiciaire pour lutter contre la torture. La mise  en œuvre d’une commission nationale de droits de l’homme  doublée d’un mandat de prévention et de sensibilisation contre la torture. ça c’est un fait. Cela a été noté par le Comité de lutte contre la torture et  des organisations comme la notre, en terme d’évolution.

Seulement, il y a encore des défis immenses notamment le projet du code de procédure pénal qui n’est toujours pas adopté. Et, c’est a travers des instruments qu’on peut aussi évaluer véritablement l’avancée du processus pénal;  comment est-ce qu’un suspect est appréhendé et quelles sont les étapes qui sont suivies jusqu’à son incarcération et son inculpation.

Quand tout cela n’est pas lisible, il est difficile de dire clairement où est ce que le pays se trouve en la matière. Il faut dire aussi que depuis plusieurs années, le pays n’a pas beaucoup avancé sur le plan carcéral. La surpopulation carcérale, l’accès des détenus aux soins, il y a beaucoup des détenus qui ont atteint un seuil critique de leur santé en prison et qui risquent d’ailleurs la mort. Or, il y a beaucoup de morts au cours des dix dernières années dans les prisons dus au manque de soins adéquats, à une mauvaise alimentation, à des conditions inacceptables dans les prisons exiguës qui abritent un nombre inadapté de personnes. Tout cela montre que le pays traverse encore un enjeu majeur en la matière et qu’il ne pourrait pas encore se targuer d’être en exemple en la matière.

 

Il y a 65 % de prévenus contre 45% qui ont déjà une peine prononcée

Et vous comprenez pourquoi la situation persiste?

Cela persiste parce qu’il y a à la fois, des éléments structurels. Par exemple des prisons vétustes et inadéquates. Même s’il y en a une qui a été construite à Kpalimé (123 km au nord de la capitale ndlr) il y a quelques années mais sur l’ensemble des 13 prisons  il y en a qui ne répondent plus aux standards. Elles ont été construites pour un nombre défini de personnes qui aujourd’hui, abrite beaucoup plus.

Il faut désengorger des personnes qui attendent très longtemps de rencontrer un juge pour la première fois.  Il y a 65 % de prévenus contre 45% qui ont déjà une peine prononcée donc il faudrait à un moment donné s’attaquer véritablement à cette thématique et cette question est aussi continentale, la disproportion entre le nombre de prévenus et le nombre de personnes déjà écoutées. C’est important de s’attaquer à cette question et de solder les affaires qui sont encore en instance ou alors les personnes qui sont détenues n’ayant pas eu  accès à un magistrat donc ce sont des questions structurelles.

C’est aussi une question de moyens il faut le dire. Les États doivent se doter des budgets conséquents en la matière parce qu’on ne peut pas répondre à la question structurelle si on ne se donne pas les moyens pour une problématique comme celle la qui déshumanise à la fin.

Que chaque citoyen Togolais puisse avoir à l’esprit que la torture est une prohibition absolue

La torture on en parle mais peut-on vraiment y mettre fin ?

L’éradication de la torture est un idéal et défi permanent, parce que  les régimes sont changeants. On peut en avoir qui consacrent d’énormes efforts et qui peut se faire remplacer par d’autres qui  sont plutôt populistes et extrémistes et qui font des marches en arrière. Cela reste un défit permanent.

On peut avoir affaire à des régimes plutôt complaisants qui prennent des mesures législatives  et qui ont la peine à les mettre en œuvre. Le Togo est un pays qui adopte beaucoup de loi. Depuis le dernier passage à la session  du comité contre la torture en 2012, l’État a adopté un arsenal juridique qui est appréciable et qu’on encourage.  Mais il ne suffit pas de les adopter et de les garder dans les tiroirs. Il faut les mettre en œuvre, les vulgariser et les rendre accessibles pour que cela fasse corps avec la société afin que ça devienne une réalité;  pas une imposition de l’extérieur. Que chaque citoyen Togolais puisse avoir à l’esprit que la torture est une prohibition absolue non pas parce-que c’est une prescription d’un organisme extérieur quelconque mais parce-que cela nous consacre d’abord notre dignité d’être humain, notre fierté de faire partir d’un pays qui accorde de l’importance à l’être humain.

Une fois que cela est acté on n’a plus besoin de revenir en arrière sur la problématique, au contraire, on adopte une rapproche progressive, les magistrats adoptent des décisions progressistes qui nous permet de servir de modèle pour le reste du continent et du monde.

Interview réalisée par Sylvio Combey
Transcription: Yawavi Amekeya
Voltic Togo