Luc Nkulula, regretté membre de la LUCHA

On s’y attendait depuis le 10 juin 2018, date d’incendie de sa maison au quartier Himbi, dans la Commune de Goma. Les résultats de l’enquête sur les circonstances de décès de Luc Nkulula, activiste, sont enfin sortis. Pour le procureur de la République près la Cour d’appel de Goma au Nord-Kivu, Dauphin Mawazo, « l’explosion d’une batterie » serait à la base de l’incendie que beaucoup d’observateurs ont qualifié de « criminel ». Quelques mois plus tôt, alors qu’il était sur un programme d’Etat américain, la rédaction d’Africa rendez-vous a échangé, à San Francisco, avec ce jeune. « Rien ne nous détournera de nos objectifs », disait ce membre influent de la branche de la Lutte pour le changement (LUCHA) à Goma en RDC, avec insistance ne sachant pas que quelques mois après, sa vie en sera autrement.

La LUCHA, Lutte pour le changement. Pour quel changement?

Notre Congo est caractérisé par beaucoup de médiocrité notamment dans le social, dans la politique, et dans l’économie.  Et il faut bien un moteur de changement qui naisse quelque part, animé par l’énergie et la créativité des jeunes pour pouvoir booster les choses, avec un esprit positif et constructif. C’est la raison pour laquelle la LUCHA est née. Un changement du système de gens qui veulent s’éterniser au pouvoir vers un système de gens qui veulent lâcher ce pouvoir, pour le bien de l’avenir.

Vous voulez chasser Kabila du pouvoir?

Notre lutte n’est pas dirigée contre des individus. Parce que si je parle de Kabila, il est trop petit par rapport à nos problèmes. C’est depuis 55 ans que cela dure et les différents gouvernements sont incapables de trouver des solutions. Notre problème c’est l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’emploi, à la démocratie, à la justice, à un état de droit. Voila nos problèmes. Kabila peut partir mais le système qui va rester est-ce qu’il peut nous garantir cela?

Rien ne nous détournera de nos objectifs. Ni les arrestations ni les kidnappings.

Les membres de la LUCHA sont très souvent arrêtés et emprisonnés. Vous-mêmes vous l’aviez été plusieurs fois.

Luc Nkulula

Avant, je veux dire une chose qui va vous surprendre. La première action que nous avons faite et pour laquelle on nous a mis en prison, c’est parce-que nous demandions seulement de l’eau. Et ça continue. Nous gênons les intérêts de certains individus.  Nous n’avons pas peur. Pourquoi avoir peur de demander qu’on organise des élections pour nous permettre de choisir nos représentants? Pourquoi avoir peur de demander de meilleures conditions de vie? C’est un droit et c’est aussi notre devoir de faire des réclamations. Rien ne nous détournera de nos objectifs. Ni les arrestations, ni les kidnappings.

En RDC, nous sommes un peu trop tolérants envers les politiques. Et aussi longtemps que nous demeurerons très tolérants, les politiques seront toujours médiocres. Nous devons être un peuple exigeant. Et si nous sommes exigeant, nous n’aurons pas des autorités imposteurs. Et c’est la culture qu’il faudrait inculquer à la population congolaise.

Donc selon vous, Kabila est un imposteur?

Imposteur, je ne saurai vous le dire mais ce que je veux vous dire c’est qu’il n’est pas en mesure aujourd’hui de répondre aux besoins de sa population. La population congolaise doit se lever pour mettre hors d’état de nuire Kabila. Les congolais doivent empêcher Kabila par tous les moyens de fait comme de droit en accord avec l’article 63 de notre Constitution qui dit que chaque Congolais à le devoir de s’interposer à toute personnes qui prend le pouvoir par la force ou veut l’exercer en violation de la loi.

Ça ne sert à rien de se maintenir au pouvoir. Il y a une vie après le pouvoir politique.

Vous avez rencontré le président Kabila lors d’un de ses déplacements à Goma, qu’est ce que vous lui avez dit?

C’était en 2016, deux ou trois mois avant la fin de son mandat. Nous lui avons demandé expressément d’organiser les élections. Nous ne l’avons pas ménagé pour ce qui concerne nos revendications. Nous avons demandé clairement au président Kabila de lancer un message à tous les autres présidents qui vont venir après lui, que la meilleure façon de se maintenir au pouvoir, ce n’est pas de ne pas organiser les élections. Quand quelqu’un qui finit son mandat, qu’il ait organisé ou non les élections, qu’il puisse quand même quitter le pouvoir. Nous lui avons dit à l’époque que s’il n’arrivait pas à organiser les élections avant fin décembre 2016, de démissionner. Ce serait le meilleur message qui pouvait donner à tous les présidents africains. Ça ne sert à rien de se maintenir au pouvoir. Il y a une vie après le pouvoir politique. Nous sommes aujourd’hui déçu parce qu’il ne nous avait pas compris. Nous lui avions dit qu’il y aurait des conséquences graves lorsqu’un président se maintient au pouvoir et n’organise pas les élections.

Selon ses argumentations, il disait qu’il tenait à organiser de bonnes élections.  Mais je pense qu’aujourd’hui, il est en train de gérer la situation la plus difficile.

Kabila vous a inspiré, il y a quelques années?

Luc Nkulula

La plupart d’entre nous, sommes jeunes. Nous n’avons connu que lui. C’est lui qui nous a parlé en premier de la démocratie, des élections transparentes. c’est lui qui nous a dit qu’on peut construire une route, c’est lui qui nous a dit qu’un Congolais devrait vivre décemment avec son salaire. C’est lui qui nous a fait croire à la fin de l’impunité, ou que l’avènement de la justice au Congo peut être possible. C’est lui qui nous a fait rêver. Aujourd’hui, je ne peux pas nier que c’est la première personne qui m’a dit qu’il peut y exister une justice au Congo. J’étais encore trop jeune quand il est venu au pouvoir et le premier souvenir d’un bon fonctionnement du pays, c’est de lui que je le garde.

Ce sont ses propres espérances qu’il a mis en nous qui se retourne contre lui même aujourd’hui.

Ce rêve est-il devenu un cauchemar ?

(Rires). Le rêve ne devient pas cauchemar parce-que nous, nous tenons aujourd’hui à faire respecter ces rêves.  Nous défendons ces bonnes valeurs. Ces valeurs de paix, ces valeurs de démocratie que le président Kabila n’arrive plus à défendre. Malheureusement il a quitté le droit chemin, et nous par la lutte non violente active, nous allons lui imposer ces bonnes valeurs de gré ou de force. Il faut qu’il quitte le pouvoir, car il n’a plus la légitimité du peuple.

Quel est selon vous, le meilleur président pour la RDC?

Le meilleur président doit sortir d’une population transformée. Pour une population de 80 millions, ce serait très fou de dire aux congolais par exemple que si Kabila partait, vous manquerez de gens pour la présidence. Nous pouvons avoir un meilleur remplaçant, au pire on trouvera quelqu’un comme lui.

La peur OUI, mais se rétracter parce que nous avons peur NON

N’avez-vous pas peur pour votre vie?

La peur pour la vie est la norme. Tout homme normal doit avoir peur pour sa vie. Mais est ce qu’il faudrait se calfeutrer dans sa petite boite parce-que simplement nous avons peur de pouvoir changer l’avenir?  Cet avenir qui peut être profitable pour nous? Non seulement nous mais les générations qui vont venir après nous. Je crois qu’il faut balancer encore une chose. Oui la peur existe mais il y a des choses qu’on ne peut pas hypothéquer. C’est comme notre liberté, c’est comme nos droits, nos acquis, c’est comme notre avenir. Aujourd’hui la jeunesse congolaise, comme si elle n’a plus droit de rêver. Parce que nos rêves ne servent plus à rien. L’environnement ne nous donne plus de possibilité de pouvoir tenter nos rêves. Alors la peur oui, mais se rétracter parce que nous avons peur NON.

Merci

Interview réalisée par Kayi Lawson à San Francisco

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