Nous sommes à Kara, ville située à 420 km au nord de la capitale Lomé. Elle est traversée par une rivière entourée de faits difficiles à comprendre .  Pendant la saison sèche, des corps sans vie se retrouvent sous un rocher en plein milieu de la rivière. Les sages du canton de Lama disent avoir finalement compris que les esprits réclament des sacrifices…

La rivière Kara emporte des âmes, selon les personnes du troisième âge.  Les « Karalais”, même des enfants, le savent mais ne disposent d’aucune statistique claire. Cette rivière qui prend sa source dans la Binah et se jette dans l’Oti s’appelle originellement « Kayawa » en Kabyè, ce qui signifie « à cause de cet enfant ». «  La rivière Kara, c’est tout un mystère », lâche Jérôme Nimon-Toki, étudiant à l’Université de Kara, rencontré sur les berges de la rivière.

Une rivière énigmatique

C’est un secret de Polichinelle, les gens se noient dans la rivière Kara en saison sèche. Même des enfants semblent bien maitriser ce mystère qui ce cours d’eau. Selon des sages rencontrés sur les lieux, le fleuve emporte beaucoup plus ceux qui usent de la

Le Chef Miza au micro de Assad-Mohamed
Le Chef Miza au micro de Assad-Mohamed

magie noire étiquetés « gens clairvoyants ».  Le Chef canton de Lama, Miza Yoma confirme les faits en reconnaissant qu’il y a au moins un mort par noyade chaque année dans cette rivière et que des rituels sont souvent faits. « Des poules noires et un bouc noir sont immolés pour apaiser les esprits, et du tchoukoutou (boisson locale ndlr) ».

Selon Miza Yoma, par ailleurs président des chefs traditionnels de la Kozah et de la région de la Kara,  la rivière est sous l’emprise de trois divinités notamment « Agnaram », « N’gbane » et  « Koudjolou » qui réclament des sacrifices.

« Parfois, par la force des choses, il faut faire ce sacrifice cinq fois dans l’année, tant que le besoin se ressent », renchérit Alédji Massamaesso alias « tout droit », un jardinier, la soixantaine.

Le rocher mystique 

Toute l’histoire mystérieuse autour de la rivière Kara ne se limite pas qu’au cours d’eau lui-même. « C’est en dessous de ce rocher dans la rivière, que l’on retrouve les corps inanimés après », nous montre d’un doigt,

Nimon-Toki. Des femmes faisant la lessive à quelques mètres de là, confirment les faits tout en soulignant que les corps ne sont généralement retrouvés que 72 heures après leur disparition. Elles n’ont pas hésité aussi à nous indiquer ce rocher situé sous l’ancien pont construit à l’ère coloniale par des Allemands au niveau du quartier Kara Sud.

La rivière Kara
La rivière Kara

Toujours, d’après les propos de M. Miza, trois jeunes étudiants de retour des cours, gambadaient sur de petits rochers. Arrivés à la hauteur du « rocher mystique” ils sont emportés par la rivière. Encore plus curieux, les corps ont été retrouvés plus tard après des rituels sous ce rocher.

Des interdits à ne pas négliger

Le cordonnier Lomou Komi, (47 ans)  soutient qu’en 15 ans, il a pu faire sortir une dizaine de corps inanimés, emportés par les eaux. Selon ses explications, il y a des interdits à respecter. « Des cadavres ne doivent pas être transportés pour traverser le fleuve », a-t-il prévenu, au risque de susciter le courroux des esprits.

Sur un air très sérieux, le président des chefs traditionnels, lui, rappelle que les esprits ont aussi le droit de « s’épanouir » et sont réfractaires à la romance. Aucune présence ne devra être observée autour de la rivière à midi et à partir de 18h. « Le contrevenant fera face aux conséquences, il subira la colère des esprits » , a-t-il prévenu. Il n’a cessé de marteler qu’il est prohibé aux jeunes de faire l’amour dans les encablures de la rivière au risque que la jeune fille tombe enceinte et accouche d’un enfant «  bête, satanique et impuissant ».

Même les chances de repartir vivants sont assez maigres. Aussi, les personnes de teint clair  ne doivent pas s’approcher de la rivière.

Le mythe à rudes épreuves…

Le mythe qui entoure la rivière Kara ne rencontre pas l’assentiment de tous les « Karalais ». Esso Alaye Toyi, cadre de banque estime que cela ne relève que de

La rivière Kara vue depuis le pont
La rivière Kara vue depuis le pont

l’imagination. Il assimile les faits à un pur « noyade ». « Une rivière qui emporte en période sèche, allez-y comprendre … », relève t-il haussant légèrement son épaule gauche avant de reprendre la route sur sa moto pétaradante.

Sur un ton moqueur, Julie Couedel, touriste, de nationalité française dit n’y voir aucune preuve scientifique. «  C’est normal que même en période sèche, quand vous vous hasardez à jouer dans le fleuve alors que vous ne savez pas nager, vous soyez emportés par les eaux », a fait observer la jeune femme. « Même chez nous (France ndlr), les gens savent nager mais il y a des cas de noyade. Tout est une question d’imprudence », a -t-elle renchéri.

Au Togo, la rivière Kara, à l’instar de la rivière Oti, du fleuve Mono, ou du Lac Togo sont souvent entourés de mystères.

Cet article est rédigé par Etonam Sossou, Kadi Assad-Mohammed, Essohanam Atou & Sylvio Combey en marge d'une formation de journalistes à Kara, initiée par l'Ambassade des Etats-Unis au Togo.
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