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Le mois d’Avril est consacré à la sensibilisation au trouble du spectre de l’autisme. Cependant, la pandémie du coronavirus a perturbé les efforts de sensibilisation sur l’autisme de cette année. Cette occasion ratée de sensibilisation aurait plus d’impacts en Afrique où la problématique de l’autisme est complexe et mal comprise. Nous rédigeons donc ce texte pour décrire l’historique et la problématique de l’autisme en Afrique.

L’autisme est un trouble du développement qui apparait avant l’âge de 3 ans. Il perturbe de façon persistante l’acquisition ou l’expression d’habiletés développementales chez l’enfant.  Les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme ont des difficultés pour acquérir le langage, communiquer et développer des relations sociales avec les autres personnes. Ils ont des activités et des intérêts limités et manifestent des comportements répétitifs. L’autisme affecte les enfants de tous les milieux socio-économiques, culturels, raciaux et ethniques. C’est donc un phénomène qui a une ampleur mondiale. L’autisme a des impacts négatifs aussi bien sur les enfants touchés que sur leurs familles et leurs communautés. Néanmoins, on peut traiter efficacement l’autisme en utilisant les interventions basées sur la science.

Dans les pays riches, des systèmes de surveillance avancés permettent de produire des estimations fiables sur la prévalence de l’autisme. Aux États-Unis par exemple, le Centre de Contrôle des Maladies (Center for Disease Control and Prevention, CDC) a récemment estimé que l’autisme affecte un enfant sur 54 et un adulte sur 45. D’autres pays industrialisés rapportent des prévalences similaires à celles des Etats-Unis. Cette prévalence chez les enfants a triplé dans les quinze dernières années.

Prévalence de l’autisme en Afrique

Malgré l’ampleur mondiale de l’autisme, les pays africains tardent à générer des données fiables sur sa prévalence et son impact socio-économique. En revanche, certaines théories fantaisistes avaient suggéré que l’autisme n’affecterait que des enfants africains issus de classes sociales privilégiées ou ayant un mode de vie occidental. Ces affirmations sans fondement ont probablement contribué à retarder la compréhension de l’autisme en Afrique.

Quoique les premiers cas d’autisme en Afrique aient été documentés depuis près de 50 ans, ce trouble est demeuré longtemps mal compris sur le continent. Dans les années 2000, les données sur la prévalence de l’autisme chez les enfants nés de la diaspora africaine aux Etats-Unis et en Europe ont estimé que l’autisme affecterait les enfants africains au même titre que les autres. Par exemple, des chercheurs ont rapporté que la prévalence de l’autisme parmi les enfants nés d’immigrants somaliens aux Etats-Unis était plus élevée que celle des autres enfants américains. D’autres chercheurs en Suède ont rapporté que l’autisme affecte trois fois plus les enfants nés d’immigrants somaliens que les autres enfants en Suède. Or, l’autisme était un trouble mal connu en Somali. Ces informations ont éveillé l’attention de la diaspora africaine sur la problématique de l’autisme.  Aujourd’hui, l’autisme affecte les enfants nés de la diaspora africaine, toutes nationalités confondues, en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.

En Afrique, les échanges d’informations avec la diaspora et la vulgarisation de l’internet ont aidé les parents frustrés des difficultés de développement de leur enfant à découvrir l’autisme. Dans plusieurs pays, des parents ont formé des associations pour mieux s’informer sur l’autisme, réclamer l’implication des pouvoirs publics pour répondre aux besoins des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme. Malgré l’absence de données fiables en Afrique, certains spécialistes estiment qu’environ 13 millions de personnes en Afrique auraient un trouble du spectre de l’autisme. Néanmoins, nous pensons que cette prévalence serait plus élevée.

Impact de l’autisme

Les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme ont des besoins complexes. D’une part, ils sont plus à risque d’avoir d’autres problèmes de santé tels que les troubles neurologiques (épilepsie), gastroentérologiques, d’alimentation ou du sommeil. D’autre part, les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme manifestent beaucoup de comportements problématiques tels que les agressions physiques, les automutilations, les destructions d’objets ou les crises de colère.  Ces comportements problématiques constituent des risques de blessure pour ces enfants mêmes et leurs proches.

L’autisme a un impact sur toute la famille et la communauté. Les parents et la fratrie d’un enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme ont des symptômes dépressifs et des niveaux de détresse psychologique élevés. Les coûts du traitement de l’autisme réduisent considérablement les finances des familles. Ce trouble présente des défis importants pour les écoles qui doivent recruter du personnel qualifié en éducation spécialisée afin de répondre aux besoins de ces enfants. L’autisme engendre d’énormes coûts pour les communautés. En somme, ce trouble peut constituer un frein au développement des pays africains sur les plans humain, social et économique.

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Politiques publiques

La problématique de l’autisme mérite une réponse adéquate des pouvoirs publics. Néanmoins, peu de pays africains ont développé un programme national pour répondre efficacement à ces défis. D’ailleurs, l’autisme est mal compris par le personnel de la santé et de l’éducation.  Des études menées au Nigeria, au Ghana et en Afrique du Sud ont rapporté que le personnel de la santé et de l’éducation comprenait mal ses symptômes et ses caractéristiques. Pourtant, ce personnel en santé et en éducation devrait être au premier plan pour diagnostiquer, traiter, ou éduquer les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme.

Les institutions universitaires africaines paraissent moins impliquées dans la recherche pour réduire l’impact de l’autisme. Les chercheurs et universitaires africains manifestent peu d’intérêt envers l’enseignement et la recherche sur l’autisme. Ce manque d’intérêt se traduit par l’absence remarquable de professionnels spécialisés en autisme sur le continent. Une enquête récente menée au Togo indique que moins de 1% des étudiants au master et au doctorat connaissait les symptômes et les caractéristiques de l’autisme. Pourtant, ceux-ci deviendront des professionnels qui devront intervenir auprès des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme. Il est aussi difficile de trouver des universités africaines ayant développé des programmes de formation pour former les étudiants en autisme.

En l’absence de politique publique pour répondre efficacement à l’autisme, des tradipraticiens évoquent des interprétations culturelles sans fondement scientifique pour l’expliquer et le traiter. A partir de ces interprétations culturelles, ces tradipraticiens développent des interventions inacceptables et parfois dangereuses pour traiter l’autisme. Ces interprétations culturelles servent aussi de fondement pour des traitements inhumains et discriminatoires à l’égard des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme et leurs familles.

Malgré l’avancement des connaissances et la portée mondiale de l’autisme, les pays africains paraissent mal préparés pour gérer ces impacts. Il est nécessaire de mobiliser les ressources nécessaires pour former les professionnels à diagnostiquer et à mettre en place les interventions basées sur la science pour traiter l’autisme. Grâce à l’accès aux interventions efficaces, les personnes ayant ce trouble peuvent devenir des citoyens autonomes. Ce faisant, les états africains réhabiliteraient des millions de personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme à participer à l’économie. Oui, des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme ont aussi des talents exceptionnels pour faire prospérer l’économie.

Par Theo Gossou, BCBA, consultant en autisme et Akounda Koudema, EAO, enseignant

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