« Je n’ai jamais imaginé qu’il irait aussi loin », s’exclame dame Ablavi, la quarantaine, portefaix dans un marché, à son grand frère Koffigan. Elle s’est rendue chez ce dernier tôt le matin du 28 janvier 2024. On pouvait déjà constater le désarroi de la jeune dame, visage renfrogné, les larmes aux yeux, la voix à peine audible. Dame Ablavi venait d’apprendre à travers ses amies, la mauvaise nouvelle de son fils unique Caleb, celle de son arrestation par les Forces de défense et de sécurité (FDS) au lendemain d’une attaque par des groupes non étatiques. Ce scénario fictif tel raconté, au cours d’une formation des journalistes sur la cohésion sociale, par Félix Kokou AKLAVON, expert en gouvernance et sécurité, est l’illustration du désarroi que traversent bon nombre de familles qui constatent malgré elles plus tard, que leurs enfants se sont faits enrôler par des groupes et organisations pour commettre des forfaits. Et pourtant, la situation pouvait être sous contrôle.
Comment peut-on en arriver là ?
Des jeunes comme « Caleb », il en existe plusieurs dans le monde. Ils rallient par manipulation, insouciance, naïveté ou vengeance, les rangs des insurgés communément désignés « terroristes » ou « rebelles » et dont les agissements portent atteintes non seulement à leurs cibles mais également aux libertés individuelles des populations. Souvent, les parents pensent que leurs enfants sortent pour aller chercher leur pitance quotidienne, sans savoir quelle compagnie ils font.
Comme Caleb, de nombreux enfants se retrouvent dans des situations pareilles. Une des causes de la résurgence du phénomène de rébellion dont le nombre des adeptes ne fait que s’accroître, parlant des enfants et jeunes.
La tendance récente du terrorisme mondial est le nombre élevé d’enfants radicalisés à la violence, recrutés et impliqués dans des activités terroristes.
Selon les chiffres de 2020 fournis par les programmes d’Aide et de Développement destinés aux enfants du Monde, près de 7 000 enfants vivent dans les rues au Togo. Pour Félix Kokou AKLAVON, c’est une potentielle porte ouverte d’enrôlement.
« Les enfants de rue constituent un problème de société aujourd’hui. Lors d’une guerre classique, ils sont soumis à des réglementations au niveau international qui les protègent. Cependant, les groupes armés, les groupes islamistes et les terroristes ne tiennent pas compte de ces engagements internationaux. Ils considèrent les enfants comme des recrues potentielles pour investir dans des combats ou des activités de trafic, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger », indique M. AKLAVON.
Pour l’expert, le recrutement d’enfants sert les intérêts des groupes non étatiques, les utilisant dans des combats ou des activités de trafic. « Ces enfants peuvent donc être touchés par le terrorisme de différentes manières : en tant que victimes, témoins ou délinquants », a ajouté M. AKLAVON.
Généralement, lorsque ces enfants se retrouvent à l’étranger, leur violence est multipliée par deux car ils ne se sentent pas confrontés à leurs parents. C’est un phénomène grave qui soulève des questions sur la prolifération des enfants dans les rues au Togo.
« Vous savez que ces enfants sont parfois amenés de l’extérieur, et l’argent qu’ils gagnent peut également alimenter le terrorisme dans d’autres pays. Chacun de ces enfants paie quelque chose à leur tuteur à la fin de la journée pour ce qu’il a gagné dans la rue. Il est donc clair que tout le processus de radicalisation est à leur portée. Ce sont des enfants qu’on peut recruter par internet ou par des personnes interposées qui leur proposent de l’argent pour les enrôler », détaille l’expert en gouvernance.
Une tendance mondiale préoccupante
L’une des tendances récentes du terrorisme mondial est le nombre élevé d’enfants radicalisés à la violence, recrutés et impliqués dans des activités illégales. Initialement des enfants de rue, comme on en voit à Lomé, souvent extrêmement violents, sont de plus en plus recrutés par des groupes organisés non étatiques au sein ou à l’extérieur de leur pays.
Tous les enfants sans abri finissent par dormir à la belle étoile, devenant ainsi une béquille potentielle pour l’extrémisme violent, devenu viral dans la sous-région.
Au Togo, le ministère des affaires sociales n’est pas resté indifférent. Il poursuit des actions avec les Organisations non gouvernementales, les Organisations internationales mais, plus d’efforts devraient être faits pour contribuer à la sécurité de ces enfants en initiant ou en renforçant des programmes d’accompagnement, visant à leur offrir des perspectives d’avenir.
Selon des observateurs, il est aussi nécessaire de renforcer la brigade pour mineurs, de prendre systématiquement en charge les enfants en situation de rue, et de créer un centre de transit pour étudier leur cas. La mise en place d’une police dédiée aux enfants permettrait de repérer les enfants errants et, parfois, de prendre des mesures à l’encontre des familles qui les laissent dans la rue, car certains de ces enfants ont des parents vivants et actifs.
Il est bien clair que les enfants parce qu’évoluant dans un environnement sous influence extrémiste sont particulièrement exposés au risque de radicalisation. Leur développement dans un tissu social extrémiste et le manque d’autres types de relations les rendent particulièrement vulnérables.
Le phénomène des enfants de rue est une réalité à travers les pays africains. Depuis 2012, le Mali est en proie aux agissements des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation Etat islamique. C’est aussi le cas du Burkina Faso et les populations aux Nords du Bénin et du Togo qui vivent dans des situations d’instabilité continue. Résoudre le problème des enfants de rue aidera à réduire aussi l’enrôlement de ces enfants vulnérables, facilement manipulables par les groupes non étatiques.
Cet article est un travail collaboratif rédigé dans le cadre d’une formation des médias sur la prévention de l’extrémisme violent et a pour but d’attirer l’attention sur le phénomène des enfants de rue, en lien avec le terrorisme. Ont pris part à la rédaction Hélène MARTELOT (Africa Rendez-vous); Justine TCHODIE ( Freelance); Rachel DOUBIDJI (Togotopnews); Edmond WAKLATSI (NouvelAngle); Marc Yaovi Essowoè. GNAZOU (Togonyigba); Caleb K. AKPONOU (Gapola); Yao Linus ATISSO (TOGOTIMES); Narcisse Prince AGBODJAN (L’Interview); Hector NAMMANGUE (Vert-Togo); Jean-Pierre BAWELA B (Macite); Amidatou YERIMA(L’Œil d’Afrique) et Réné DOKOU (Impartial-Actu).