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L’ancien lieutenant de Laurent Gbagbo a fait un retour triomphal dans son pays, après une décennie d’exil et de prison. Derrière les paroles d’apaisement et les promesses de concorde nationale, le délicat chantier de la réconciliation demeure cependant entier, du moins tant que n’émergera pas un récit commun des évènements de 2010-2011 qui ont précipité le pays d’Afrique de l’Ouest dans le chaos.

Il avait promis un retour « sobre » et « sans triomphalisme », rappelle le correspondant du Monde à Abidjan ; mais ce fut bien une « fête », sous le signe d’une certaine euphorie, qu’avaient réservé les sympathisants de Charles Blé Goudé à l’ancien ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo, de retour en Côte d’Ivoire après plus de dix ans d’exil. Difficile en effet, ce samedi 26 novembre, de se frayer un chemin dans les rues bondées du quartier abidjanais de Yopougon, où une foule extatique célébrait dans la liesse celui dont le nom restera, avec celui de son ancien président, pour toujours associé aux violences de la crise post-électorale de 2010-2011, qui ont plongé le pays dans le chaos et coûté la vie à plus de 3 000 personnes.

Finalement acquitté en mars 2021 des chefs de crimes contre l’humanité dont il répondait, avec Laurent Gbagbo, devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, Charles Blé Goudé aura passé une partie de sa décennie d’exil en prison. Avant d’être, en quelque sorte, gracié une seconde fois, par son adversaire de toujours et actuel président ivoirien, Alassane Ouattara lui-même. Une mansuétude que n’a pas manqué de saluer le premier intéressé qui, devant ses supporters en délire, a tenu à « dire merci aux autorités de la Côte d’Ivoire qui ont facilité (son) retour ». « Si je vous vois aujourd’hui », a encore lancé un Charles Blé Goudé juché sur le toit de sa voiture cernée par des centaines d’habitants, « c’est grâce à elles ».

La réconciliation, le dernier chantier d’Alassane Ouattara ?

« Mon rôle n’est pas de vous révolter », a encore assuré l’ex-leader de la jeunesse de Gbagbo, jurant que son « devoir est d’accompagner (le) processus de paix » initié par Alassane Ouattara. Une politique de réconciliation nationale entreprise depuis plusieurs années par le gouvernement ivoirien, alors que cicatrisent encore les plaies de la crise post-électorale. En 2011 est créé la « Commission dialogue, vérité et réconciliation » pour l’identification et l’indemnisation de la majorité des victimes de la crise post-électorale, ancêtre de la « Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes » mise sur pied en 2015. Et en août 2018, Ouattara avait annoncé la grâce de 800 personnes impliquées dans les violences de 2010-2011, parmi lesquelles l’ancienne première dame, Simone Gbagbo, qui purgeait une peine de vingt ans de prison – son époux Laurent ayant été, quant à lui, également acquitté par la CPI et libéré en février 2019. En d’autres termes, tous les principaux acteurs de la crise post-électorale sont aujourd’hui libres de leurs mouvements, un préalable qui était sans doute indispensable à la poursuite du difficile chantier de la réconciliation.

Réélu en 2021 pour un troisième mandat, Alassane Ouattara a fait de cette réconciliation l’un des chantiers prioritaires de son ultime présidence. Lors de sa prestation de serment, le président ivoirien a notamment annoncé la création d’un inédit ministère de la Réconciliation nationale, tout en appelant à la reprise du dialogue avec les forces d’opposition. Une promesse tenue dès l’été 2021, quand Ouattara a très officiellement reçu son prédécesseur, Laurent Gbagbo, lors d’une rencontre aussi symbolique qu’historique – la première, entre les deux hommes, depuis novembre 2010. Cette détente politique s’est aussi illustrée par le calme dans lequel se sont déroulées les dernières élections législatives, qui se tenaient en mars 2022. Quelques semaines plus tard, les supporters de Laurent Gbagbo ont été autorisés à rentrer au pays, alors que plusieurs dizaines de personnes impliquées dans les violences de 2010-2011 bénéficiaient, à leur tour, de mesures exceptionnelles de remises de peines.

De facto, plus de 310 000 réfugiés ivoiriens, pour la plupart partis en exil lors de la guerre civile, sont rentrés au pays. Un retour rendu possible notamment grâce aux autorités ivoiriennes qui ont facilité la réintégration de tous les anciens fonctionnaires à leurs postes. Une mesure incitative, qui a favorisé le retour de dizaines de milliers d’Ivoiriens des deux camps qui avaient fui les troubles lors du scrutin de 2010.

Cependant, en dépit des gestes d’apaisement qui, de part et d’autre, semblent matérialiser l’accalmie de la vie politique ivoirienne, le chemin vers la réconciliation demeure incomplet sans un « aggiornamento » collectif. Reste ainsi entière la question, sensible parmi toutes, du récit des évènements ayant plongé la Côte d’Ivoire dans le sang. Des récits, des histoires, des versions qui sont encore loin de converger entre les différents clans en présence. Autrement dit, la société ivoirienne ne pourra surmonter le traumatisme de la crise post-électorale qu’en s’attelant à l’édification commune d’un « devoir de mémoire » et en dépassant les récits concurrents dans la responsabilité des événements. Le gouvernement ivoirien a fait sa part pour favoriser la réconciliation. À la classe politique et à la société civile ivoirienne de faire la sienne.

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